OPUS DEI

Dans l’enfer de l’Opus Dei

Albin Michel, 2007

Témoignage de Véronique Duborgel recueillis par l'Avref.

L’Opus Dei sait se montrer charitable. Si l’on n’y prie pas pour quelqu’un comme Véronique Duborgel, même si l’on apprend qu’elle souffre d’un cancer, puisqu’elle a quitté cette prélature, néanmoins on déclare s’abstenir de poursuites contre elles pour ce qu’elle publie chez Albin Michel.
On transforme ainsi en grandeur d’âme ce qui est en réalité un aveu d’impuissance car les faits sont têtus et Véronique Duborgel qui a passé de 1983 à 1996 treize ans à l’Opus Dei, sait bien les relater dans toute leur implacable crudité avec une plume alerte et un ton dont la sincérité ne peut être mise en doute.

On a beau la prendre de haut et feindre la pitié pour une « femme en souffrance », Véronique Duborgel rétorque fort justement que c’est quand elle faisait partie de l’Opus Dei qu’elle était en souffrance.
Nous reproduisons ci-dessous quelques bonnes feuilles de son ouvrage pour vous inciter à en prendre connaissance.
 
Culte du fondateur :
Dans l’Opus Dei on lit beaucoup plus les écrits du fondateur que tout autre ouvrage. J’ignore comment fonctionnent les droits d’auteur concernant ses publications, mais il est certain que le public ne manque pas pour acheter ses livres. Ses moindres paroles sont plus souvent citées que les Evangiles dans les enseignements et dans les conversations, ainsi que dans les cours de doctrine chrétienne. Il est la référence ultime voire unique.

Pour l’Opus Dei, tout est bon, et de la dissimulation au mensonge il n’y a qu’un pas…Et là, plus question de péché.
   Le mensonge prend toutes sortes d’atours : « discrétion », « restriction mentale ». Dès que l’on rencontre l’Opus Dei, faire le tri entre ce que l’on doit dire ou ne pas dire devient une seconde nature.

§2

Personnalité duale :
Tous ces jugements de valeur qui gravitent dans mon esprit, ce n’est pas moi ! Mais ils colonisent mes pensées. L’opus Dei se répand comme une tache d’encre sur le buvard que je suis….
 
   Ce dédoublement, je ne peux pas l’expliquer. Comment ai-je adopté cette façon de faire ? Je l’ignore. Elle s’est imposée d’elle-même comme un moyen de survie. Un jour, j’ai compris qu’inconsciemment, j’avais sauvegardé la Véronique d’antan. Pour employer une métaphore informatique, je l’avais mise à la corbeille, mais je n’avais pas vidé la corbeille.  Je ne pourrais pas dire si ces deux entités étaient totalement séparées ou si elles s’imbriquaient l’une dans l’autre. Je comprends à peine aujourd’hui ce qui s’est passé en moi.
   En tout cas, lorsque j’ai pris conscience de cette personnalité qui survivait en moi, j’ai su qu’un jour je quitterais l’Opus Dei. Et qu’alors je n’hésiterais pas. Cette certitude m’a permis de tenir. C’était mon secret, précieux, invisible et inviolable. Elle était mon espoir. Elle m’a aidée à accepter mon présent. La part de soumission en moi s’amenuisait de jour en jour, discrètement. J’ai joué le jeu jusqu’à la dernière minute. Surtout ne pas me faire remarquer, ne plus me laisser endoctriner, résister à l’inquisition des numéraires. Rester bien tranquille dans mon coin. J’ai attendu treize ans.

Emprise :
Bien évidemment, cette expérience ne laisse pas intact. Faire les choses, les entendre, les réciter, se faire corriger, vous façonne et même si je ne suis pas en accord avec l’Opus Dei, j’en suis pour une grande par imprégnée. L’éducation se fait dans la répétition, l’endoctrinement (que j’appelle le formatage) aussi. Chaque semaine, chaque mois, chaque années, les mêmes discours, les mêmes enseignements, les  mêmes conseils. La répétition vous fait acquérir des automatismes. Petit à petit elle remplace votre pensée. Les idées, les vérités que l’on vous rabâche à longueur de temps sont celles que votre cerveau libère en premier, elles deviennent instinctives, comme les réflexes. Vous en arrivez à dire des choses que votre cerveau a emmagasinées, mais qu’en réalité vous ne pensez peut-être pas.

§3

Après avoir quitté l’Opus Dei, il est très difficile et très douloureux de faire le tri en soi, de savoir ce qu’on est vraiment et ce qu’on est devenu. La question du « qui suis-je ? » prend ici tout son sens.
….
 
Reconstruction personnelle :
La Véronique que j’étais, la Véronique originelle survivait quelque part au fond de moi. Il me suffisait maintenant de la retrouver et de lui laisser toute la place.
   Si la reconstruction a été difficile pour quelqu’un qui, comme moi, n’a intégré l’œuvre que superficiellement, on imagine le défi que cela peut représenter pour une personne engagée à cent pour cent dans l’organisation. Comment peut-elle se retrouver malgré l’emprise que l’Opus Dei a exercée sur elle ?
   Sortir est un pas, le premier, peut-être pas le plus difficile, bien qu’il faille batailler ferme pour prendre ce droit. La vie après est sans doute ce qui demande le plus d’énergie et de force mentale. En quittant l’œuvre, nous perdons des repères, il nous faut en trouver d’autres.

§4

 Savoir reconnaître, laisser parler en nous nos désirs, nos envies, nos idées, nos opinions, nos émotions. Savoir les écouter. Penser par nous-mêmes est sans doute le début de la renaissance : la première étape, celle qui nous conduit à redevenir responsables. Nous passons à travers les balbutiements et les premiers pas ; le chemin vers l’indépendance peut être plus ou moins long.

 Accepter de grandir :
 Je pense surtout à ces numéraires qui ont accepté la chasteté, la pauvreté et l’obéissance et qui se retrouvent parfois, à quarante ans passés, totalement emprisonnés mentalement. A toutes ces personnes, j’aimerais pouvoir donner un mode d’emploi pour se reconstruire….C’est un travail personnel de longue haleine. Un travail douloureux qui nous amène à essayer de retrouver notre vraie personnalité. Il nous fauta accepter d’abandonner beaucoup de choses qui nous avaient façonnés. Regarder le monde différemment, respecter les autres comme jamais nous ne les avons respectés lorsque nous étions de l’œuvre. Avoir confiance en la vie. Cesser d’être de petits enfants obéissants et accepter de grandir.
   Il faut savoir à la fois regarder en arrière pour voir celles que nous étions et trouver celles que nous sommes vraiment.