Gilbert Klein

§1

L’auteur s’en tient-il donc au long des pages à un discours désabusé nous décrivant, exemples à l’appui, un état du droit critique en la matière ? Nous ne le pensons pas. Poser des questions fondamentales souvent négligées serait-ce faire preuve de pessimisme ? Certainement pas : les questions bien formulée permettent toujours de progresser vers les solutions . Elles en sont les prémisses. 

Son raisonnement se fonde sur une importante question de droit, celle du préjudice :
« Une dérive sectaire pousse ses victimes à se porter préjudice à elles-mêmes. »
Et il introduit ainsi le débat initial qui est le véritable fil conducteur de sa pensée : a-t-on le droit de se porter préjudice à soi-même ? Il remonte, pour ce faire, à la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 dont « l’article 4 … stipule que « la liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas à autrui ». L’énoncé de cette disposition pose un problème par rapport aux dérives sectaires. Si le tort à autrui n’est pas évident, la liberté de se nuire à soi-même est-elle sans limites ? » .
On aurait tort d’éluder une telle question ou d’y répondre par une pirouette.
Au contraire il faut l’approfondir, la formuler de différentes façons : « Incombe-t-il à des Juges de déterminer la limite entre la religion authentique et l’abus ? Il serait préférable de statuer au cas par cas sans référence à des critères religieux : une démarche prosélyte, quel que soit son objectif, relève-t-elle de l’usage légitime de la liberté telle que l’ont voulue les rédactions de la Convention ou au contraire de l’embrigadement ? » .
Il ne s’agit pas d’une joute purement intellectuelle ou théorique. Gilbert KLEIN en fournit de nombreuses illustration, à propos par exemple des pouvoirs de police du maire qui ne peut refuser de louer une salle de réunion à un groupe abusif : « Les collectivités locales sont ainsi tenues de cautionner des mouvements dont parfois les dérives ont été sanctionnées par les juridictions pénales ou constatées par les tribunaux civils. Et, malgré elles, Elles sont tenues de prêter ou de louer des salles pour permettre à des groupes controversés de se faire mieux connaître auprès du public, voire d’inciter à rejoindre leurs rangs. »

§2

Des groupes contestables peuvent aussi se voir reconnaître par l’administration le statut d’associations cultuelles et bénéficier ainsi de dons, de legs, et de libéralités testamentaires, être exonérés de taxe foncière.

Tout un chapitre du livre est ainsi consacré à la perception insuffisante des dérives sectaires par le droit administratif, ce qui explique notamment les revers essuyés par la France devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
Il faut dire que « tant les textes de droit interne que ceux qui émanent des instances internationales se limitent à la prohibition des contraintes ».
Mais revenons à ce propos sur cette notion d’emprise dont nous savons qu’en France elle n’est expliquée aux élèves de l’Ecole Nationale de la Magistrature que depuis une période toute récente :
« On peut considérer que l’emprise mène l’individu à porter atteinte, avec son consentement, à sa propre dignité. Les dérives sectaires pourront alors être considérées par le droit administratif comme des violations de cette exigence.
[…] La stratégie des mouvements à dérive sectaire sera précisément de passer sous silence les menaces qu’ils font peser sur la dignité de leurs disciples ou d’argumenter exclusivement à partir des restrictions à la liberté, ou plus exactement à leurs libertés. Ils contesteront toutes les limitations à leur droit à s’exprimer en tant que groupes. Ils s’insurgeront contre les discriminations dont ils estimeront être l’objet ; par ailleurs, ils justifieront immanquablement leurs pratiques par le droit de chacun à la liberté de ses choix. »
Ce débat est important car les mouvements sectaires ont effectivement tendance à inverser la charge de l’accusation qui pèse sur eux : au nom de la liberté religieuse (sic) ils n’hésitent pas à se présenter comme victimes. « La ligne de défense des mouvements à dérive sectaire devant les juridictions nationale ou européennes est invariable. Ils contestent la violation des dispositions conventionnelles qui protègent les libertés de conviction, de religion, d’association et de réunion. Ils s’insurgent contre les traitements discriminatoires dont ils s’estiment l’objet » note fort justement Gilbert KLEIN .

§3

Plus que d’un débat, il s’agit en fait d’un défi qui nous est lancé :
« Le moindre de ces défis (ceux du sectarisme) n’est sans doute pas le dilemme auquel sont confrontés les juristes. La tradition libérale du droit administratif reste notre référence : la liberté doit être la règle, l’interdiction l’exception. Le propre du sectarisme est de porter atteintes aux droits de l’Homme. Restreindre les libertés représente toujours un risque de mettre à mal cette tradition. Mais est-il conforme à ce libéralisme de laisse libre cours à des processus de dégradation de la personne humaine ? »

Pour répondre (partiellement) à cette question les juges préfèrent souvent opérer sur un terrain qui leur paraît plus assuré, qu’ils maîtrisent mieux, celui du droit du travail. Notamment à propos du travail clandestin auquel sont très souvent astreints les membres de communautés déviantes l’auteur cite à bon escient un jugement qui doit concerner l’AVREF souvent confrontée à la question du statut du « bénévole » qui couvre ainsi dans le monde religieux les abus les plus criants de certaines communautés. Il s’agit de la décision du Tribunal de grande instance de Blois, 26 novembre 1996, Direction départementale du Travail, URSSAF et Mission interministérielle pour la lute contre le travail clandestin/C.B., n°1272/96 :
« …L’engagement religieux doit respecter la personne et les lois internes du groupe religieux ne sauraient primer sur les normes communes. « Le principe de l’inaliénabilité de la personne humaine dans le respect des lois d’ordre public demeure donc compatible avec des engagements personnes par lesquels elle s’engage en particulier à se soumettre à l’autorité d’un supérieur pour tous les actes de son existence -, mais cet engagement lui-même demeure soumis à deux restrictions. […] il ne saurait conférer le pouvoir à ce supérieur de porter atteinte aux droits inaliénables de la personne humaine, et l’autorité de ce dernier ne peut donc s’exercer que dans le respect des lois civiles de la République ».

§4

Malgré les aléas des procédures judiciaires, les appels et les pourvois « Les principes qui ont guidé à la rédaction du jugement du TGI restent applicables à d’autres affaires semblables, » écrit Gilbert KLEIN.
Nous souscrivons pleinement à cette remarque et espérons que la prise de conscience des questions que nous traitons se développera également du côté de la justice pénale et administrative, les affaires de pédophilie ayant vertement rappelé aux autorités religieuses la nécessité de respecter et de faire respecter les lois civiles de la République.
Mais pourquoi faudrait-il s’en tenir à la pédophilie et ignorer les dérives sectaires ?
Dignité et liberté sont des valeurs indissociables, socles des droits fondamentaux.
Merci à l’auteur de nous l’avoir rappelé et, surtout, de l’avoir rappelé tant aux victimes des emprises qu’aux gourous qui éludent leurs responsabilités.

ReCaptcha

Ce service de protection de Google est utilisé pour sécuriser les formulaires Web de notre site Web et nécessaire si vous souhaitez nous contacter. En l'activant, vous acceptez les règles de confidentialité de Google: https://policies.google.com/privacy

Google Analytics

Google Analytics est un service utilisé sur notre site Web qui permet de suivre, de signaler le trafic et de mesurer la manière dont les utilisateurs interagissent avec le contenu de notre site Web afin de l’améliorer et de fournir de meilleurs services.