Les Focolari
Turbulences et événements récents
En octobre 2020,
le journal Les Jours lance la publication d’une série d’articles faisant état d’anciens abus sexuels sur mineurs commis par un ex-membre des Focolari. Ces révélations entrainaient la démission de trois responsables, deux pour la France et le troisième pour l’Europe occidentale. Ainsi s’est ouverte une période de fortes turbulences internes. Et ce sont ces révélations, ajoutées à bien d’autres, qui devaient contraindre les évêques français réunis à Lourdes à mettre en place la CIASE présidée par Jean-Marc Sauvé.
En septembre 2020,
le préfet de la Congrégation pour la cause des saints, le cardinal Becciu, considéré comme un cardinal « focolare » devait, de son côté, sur décision du pape François, démissionner de sa charge en raison de divers scandales.
En décembre 2020,
le mouvement Focolari a mandaté, la société GCPS, consultants indépendants, pour mener une enquête sous la supervision d’un haut-fonctionnaire français Alain Christnacht, président du Samu Social. Cela démontrait la volonté des dirigeants de ce mouvement de se sortir de ce bourbier. Le 6 février 2021, le pape François recevait une délégation menée par la nouvelle dirigeante Margaret Karram et lui précisait sans ambiguïté la nouvelle voie à suivre.
Des questions vitales se posent maintenant à ce mouvement, et à chacun de ses membres,
et ce sont les mêmes qui se posent aux autres groupes religieux qui avaient mis en place des systèmes coercitifs, pervers ou abusifs et qui se sont engagés aujourd’hui sur des voies de réforme. Comment, avec la meilleure volonté du monde, se libérer des automatismes cognitifs et affectifs installés pendant des décennies ? Comment ressusciter la liberté d’opinion chez des adultes gavés de certitudes et de servitudes depuis l’adolescence ? Est-il possible d’alléger le poids que fait encore peser la fondatrice sur les idées véhiculées en interne ? …
L’ouvrage de l’italien Ferruccio Pinotti « La setta divina » paru à l’automne 2021
recense bien tous les obstacles encore présents et arrive, selon les termes de l’attachée de presse des Focolari « à un moment difficile et crucial de l’histoire du mouvement »
D’autre part une association s’est créée, l’OREF, Organisation Internationale des Ex-Focolari.
Cette association s'est créée pour dénoncer les cas d'abus au sein du mouvement des Focolari.
Elle considère ces que abus constituent un problème systématique, et s'efforce à rechercher justice et la vérité pour les victimes. Elle dénoncent le secret maintenu sur ces affaires par le mouvement de Focolari et par l'Église.
Contacter l'OREF : orefmail@gmail.com
Le mouvement Focolari : attrape-tout, narcissique, autoréférentiel
Focolari, c’est un joli mot du dialecte trentain qui évoque un feu, un âtre, une petite flamme. Mais pourquoi ce vocable ?
Les Focolari sont un mouvement important d’origine italienne fondé en 1943 par une femme dénommée Chiara Lubich qui a réussi à le développer au niveau international, à lui donner de l’ampleur.
Ce mouvement est un « attrape-tout ». Il veut s’adresser à tout le monde : aux familles, aux enfants, aux jeunes du monde entier, aux chefs d’entreprise, aux religieux, aux autres religions chrétiennes, aux fidèles des grandes religions, au pape…
Comme toute communauté autoréférentielle, il crée son propre vocabulaire, ses propres concepts, par exemple celui d’économie de communion qui reprend de façon banale des principes déjà bien connus. Et surtout il est amené à créer des « cités-pilote », par exemple celle d’Arny dans l’Essonne avec la protection du diocèse d’Evry.
Mais il convient avant tout de signaler le culte de la fondatrice est poussé à un point extrême bien que sa personnalité soit sujette à questions. C’est ce que nous signalons dans cette présentation.
Le cas Chiara Lubich
Ainsi dans une lettre publiée dans le livre de Judith Marie POVILUS, Gesu in mezzo nel pensiero di Chiara Lubich, « Jésus au cœur de la pensée de Chiara Lubich », (Citta Nuova Editrice, 1981, page 67), Chiara Lubich écrivait :
« Chaque âme des Focolari doit être une expression de moi et rien d’autre. Ma Parole contient toutes celles des focolarines et des focolarini. Je les synthétise tous. Lorsque j’apparais ainsi ils doivent donc se laisser générer par moi, communier avec. Moi aussi, comme Jésus, je dois leur dire : « Celui qui mange ma chair… ». Pour vivre la Vie que Dieu leur a donnée, ils doivent se nourrir du Dieu qui vit dans mon âme. Leur attitude devant moi doit être un rien d’amour qui appelle mon amour. »
Elle prend la place du Christ. Pas moins !
« L’unité est donc l’Unité et une seule âme doit vivre : la mienne c'est-à-dire celle de Jésus parmi nous, qui est en moi. Les focolarines qui agissent toujours ainsi sont parfaites. Elles sont Jésus parmi nous avec moi. Parce qu’elles n’ont rien gardé (et ont perdu leur âme et avec elle les inspirations partielles), elles ont tout. Ainsi nous sommes un et cet Un vit en tous. Qui ne fait pas cela et veut garder quelque chose pour soi n’est rien ».
Chiara Lubich court-circuite ainsi la relation immédiate de chaque âme à Dieu. Cette relation doit passer par elle, écrit le père Hennaux. C’est elle la médiatrice.
« Ils doivent donc se laisser générer par moi. […] Chaque âme des Focolari doit être une expression de moi et rien d’autre. […] »
« Je leur communique ce que je suis moi-même. Elles ne sont rien… »
Si les disciples (mais ce ne sont pas vraiment des disciples ; être disciple implique une vraie liberté spirituelle devant le maître) ne sont pas devant Chiara ouverts comme des « riens » et qui ont « tout » à recevoir d’elle, elle les abandonne, « leur retirant aussi ce qu’ils croient avoir. » Elle croit ainsi agir « comme Jésus ».
Nous voici au cœur de la confusion de Chiara Lubich au sujet de l’unité : celle-ci n’est pas communion de personnes autonomes et libres, mais fusion, confusion dans le « moi » de la fondatrice. On sait que l’une des caractéristiques des dérives sectaires dans les nouveaux mouvements ecclésiaux est le culte idolâtre du fondateur ou de la fondatrice.
Il est clair que dans la lettre que nous venons de lire Chiara se prend pour le Christ. Ce n’est pas le Christ qui est principe d’unité ; c’est Chiara. Redisons-le : l’unité n’est pas communion de personnes, mais identification à Chiara Lubich. Identification sans respect de l’altérité. C’est là une déviation profonde de l’unité dans la charité.
Les Focolari proposent la spiritualité du tout ou rien qui « mène dans de nombreux cas à la dépression, et même à la tentation du suicide. La maladie psychique est alors sans issue puisqu’elle est comprise comme une grâce mystique.
Dans l’expérience de l’unité de la charité telle que Chiara Lubich la conçoit, la réciprocité interpersonnelle est exclue, réciprocité où chacun reste soi et devient de plus en plus lui-même par la communion avec autrui dans la différence. Dans l’expérience d’unité envisagée par Chiara Lubich, on ne se personnalise pas les uns les autres, on disparaît dans un tout, identifié avec Dieu ou Jésus abandonné.
« Une autorité très exigeante et quasi despotique »
Elle rapporte le contrôle de correspondance privée et les commentaires sur ces écrits faits par la « supérieure ». Elle précise :
Si on suivait une intuition ou une inspiration spontanée on était réprimandée car tout ce qui était décidé en dehors de « Jésus au milieu » ne porte pas de fruit. »
Une ex : « Je n’étais plus moi »
« Pendant mes années aux Focolare, je n’étais plus moi ; au fil des années les supérieurs hiérarchiques ont réussi à anéantir ma vraie personnalité, mais pas à la faire mourir complètement- et cela a sauvé ma vie et mon vrai moi. Parfois je m’en veux de m’être laissée piéger dans ce mouvement, car j’ai laissé tomber beaucoup de mes projets mais cela fait partie de ma vie. Grâce à ma forte personnalité et mon esprit critique, j’ai su m’en sortir au bon moment et retrouver mon vrai Moi que je suis à nouveau maintenant.
« […] On adoptait un jargon typique et pendant les partages, les soi-disant communions d’âmes – on veillait à utiliser les mots que notre supérieure aimait entendre…
Pendant les années où moi-même je faisais partie de la communauté, j’ai toujours donné l’intégralité de mon salaire. En revanche je ne savais jamais en quoi mon argent était dépensé.
Nous vivons la communion des biens » était la réponse à ma question. Aux focolare nous devions faire méditation tous les jours pendant une demi-heure. On n’avait pas le choix sur quoi méditer : c’était toujours des écrits de la fondatrice ou des enregistrements (audio, vidéo, CD). »
« Tous les soirs nous devions remplir une fiche : il fallait cocher des cases si on avait fait les prières du matin, du soir, si on avait récité le chapelet, fait méditation, était allée à la messe, si on s’était lavée, à quelle heure on s’était couchée et levée, si on avait pris des médicaments et lesquels, si on avait de l’apostolat fructifiant nous mettions les adresses des personnes et leur numéro de téléphone pour après remplir le fichier, dépensé de l’argent et pourquoi, avec qui on correspondait. »
Le témoin évoque le formulaire des « schemetti », sortes d’examens de conscience que le focolarino ou la focolarine, célibataire ou marié, remplit chaque soir pour remettre tous les 15 jours à son ou sa supérieure le ou la capo-focolare. En effet il faut tout communiquer pour « tout donner à Jésus au milieu de nous ». Et elle rappelle les années où Chiara Lubich était encore vivante. Alors enthousiaste et bien sûr, naïve, elle chantait avec d’autres compagnes sous le balcon de leur fondatrice vénérée :
Dans tes mains la vie se transforme.
Comment pouvoir te redonner l’amour que tu nous donnes ?
Ce souffle avec lequel tu nous façonnes à ton image ?
Et nous voudrions inventer pour toi
Un merci que personne n’a jamais entendu.
L’amour que tu nous donnes
Personne au monde ne nous l’a jamais donné.
« J’ai vendu mon âme »
En octobre 2009 elle a été interviewée dans » Trouw », un quotidien néerlandais.
Le titre de l’article était : “J’ai vendu mon âme” (Ik had mijn ziel verkocht).
« Naturellement, souvent je participais à des rencontres et j’aidais à organiser des activités pour des jeunes. Le soir, au lit, je lisais les livres de méditation de Chiara et j’y prenais plaisir. J’étais enthousiaste et de façon fanatique j’essayais de convaincre autant de gens que possible au sujet de notre grand idéal d’Unité. J’étais certaine que j’avais la vocation de devenir une « focolarina ». Je voulais dédier ma vie à Dieu et, en tant que disciple de Chiara, je voulais renoncer à tout pour aider à réaliser les paroles de Jésus : « Qu’ils soient un ».
L’image de rêve d’un monde idéal« Puis j’arrivai à mes 19 ans, je reçus l’approbation du centre romain pour mon entrée. On me permettait de vivre chez les Focolare d’Amsterdam. …
« La plupart d’entre nous avaient un job en dehors des Focolare. J’étais employée comme travailleuse sociale et je donnais tout mon salaire à la communauté. Tout le monde le faisait …
« Un des concepts clés dans les Focolare est l’image de rêve d’un Monde idéal. Mais ceci doit se conformer à une importante hiérarchie spirituelle. S’il s’agissait de la vie dans la communauté ou d’un rassemblement impromptu, il y avait toujours une capo, une « responsable » avec qui vous deviez « faire l’unité ». Cette personne avait la grâce d’exprimer ce qu’était la volonté de Dieu. Y faire objection était inacceptable, on ne posait pas de questions …
« Les émotions, la créativité ou une idée personnelle, devaient être gardées pour soi de façon à être un avec la capo, parce que c’était la façon d’être unifié avec Chiara, et elle avait le « charisme de l’unité ». C’était comme si nous étions unies à travers les vaisseaux sanguins d’un grand corps mystique. Nous utilisions les slogans donnés par Chiara. De cette façon- là nous avions notre propre code insaisissable pour les gens de l’extérieur. »
« […] Mais ce que je vois aussi c’est que les gens des Focolare sont rattrapés par leur propre « système ». Ils n’ont pas de mauvaises intentions mais, probablement, ils ne sont pas capables de faire les choses différemment. A partir de cette pensée mon livre n’est pas une accusation ou un critique des Focolare. Tout être humain, homme ou femme, a son propre cheminement à faire. Je veux avoir un regard de tendresse sur les autres – et sur moi-même. »
Références
- Monique Goudsmit signale « l’image de rêve d’un monde idéal ». Cette perception a été confortée par une thèse de doctorat en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Soutenue par Virginie Alnet elle porte pour titre : « Sociologie d’une utopie religieuse, l’étude du mouvement des Focolari ».
- Souvent l’utopie frôle le sordide : la révélation par « Les Jours » en date du 16 octobre 2020 sous la plume d’Alexia Eychenne d’une vieille affaire de pédophilie étouffée en interne malgré sa révélation en 1995 et une condamnation en 1998 a obligé Maria Voce, celle qui a succédé à Chiara Lubich à la tête du mouvement, à réagir pour masquer sa gêne en annonçant une enquête indépendante suite à la démission de trois responsables. Il était bien tard. Était-ce le début d’une désagrégation ? Il est encore trop tôt pour le dire au moment où nous publions cet article, mais le monde idéal reste encore à construire…
- La sortie en librairie de l’ouvrage de Renata Patti, ancienne victime « Dieu, les Focolari et moi » donne un coup de boutoir au système.
> Vous pouvez vous y reporter dans notre rubrique « Dieu, les Focolari et moi ».
- Enfin les anciennes et anciens adeptes ont créé des sites internet et sont présents sur des blogs.
Nous signalons : > https://www.focolare.net/
Les Ex-Focolare en Italie ont désormais un site en langue italienne. > Site Web de l'OREF