Retravailler

Rubrique F.A.Q. – POSEZ VOTRE QUESTION...

Sur cette question de la reconstruction professionnelle du religieux ou d’une personne consacrée ex-membre de Communauté après avoir été victime de dérives sectaires, notre Webmaster est allé interroger une personne qui a vécu personnellement  ce parcours et travaille aujourd’hui dans un domaine connexe aux Ressources Humaines.
Son avis nous est précieux. Pour des raisons de confidentialité, nous l’appellerons Sylvain.

Webmaster : Sylvain notre question est simple : un ex-membre de Communauté a-t-il une quelconque chance de retrouver du travail après ce qu’il a vécu ?

  • 9 personnes sur 10 ressentent le besoin d’habiller leur CV

Sylvain : Avant tout il ne faut pas qu’il se considère comme un cas particulier, victime d’une situation spéciale. Vous avez bien des personnes qui cherchent du travail en ayant un « blanc » dans leur vie, que ce soit un passage en prison, une chimiothérapie, une période de dépression de longue durée, ou toute autre accident de la vie. D’ailleurs il faut que vous sachiez que 9 personnes sur 10 ressentent le besoin d’habiller leur CV : en effet personne n’est complètement indemne quand il s’agit d’aborder la recherche d’emploi. 

Webmaster : Oui, mais c’est bien difficile de présenter les choses…
 
Sylvain : Il faut, il est vrai, distinguer ce qui est professionnel de la vie privée. Et, en même temps, la personne est « une » : le domaine professionnel n’est pas séparable de l’ensemble de ce qu’a vécu et que vit encore la personne. J’ai bien connu moi-même l’envie de refuser de tirer un trait en sortant de ma Communauté, de dire que c’est fini, N, I, avec cette Communauté, mais pas forcément avec la vie religieuse, et de rechercher une autre Communauté.  . J’ai dû me faire violence pour bien revenir au réel, et me convaincre que c’était vraiment fini, pour en fait choisir cette fin que j’avais subie. C’est ça qui est décisif. Mais le maître mot de la reconstruction c’est le réalisme, c’est la réconciliation avec le réel qui permet d’éviter la névrose. Quand j’étais en Communauté le monde extérieur était à l’arrière-plan et puis… je n’avais pas le souci de faire bouillir la marmite ! Dans la vie religieuse on est protégé …

Webmaster : Alors que faire pour se réconcilier avec le réel ?

  • D’abord se réapproprier son corps

Sylvain : Il faut d’abord se réapproprier son corps, tenir compte du regard des autres. Il faut se relooker. Comment s’habiller ? C’est un chemin qui n’est pas facile. la réappropriation de l’identité sexuée. La reconstruction professionnelle, comme celle de la personne passe  par un renouvellement de la conscience de soi, par la prise de conscience de la légitimité profonde d’une telle attention pour sa propre personne. Quand on sort d’une communauté, le corps « personnel » qui nous exprime et  nous aide à nous exprimer, a souvent été « gommé». Soit  par un habit commun, qui n’exalte ni la féminité ni la virilité, qui se situe en dehors du temps, du goût personnel, de la mode… Soit par une convenance de choix « sobres » mais qui finissent par faire oublier la personnalité. Il faut se fondre dans la société, dans la communauté, « faire pauvre », ne pas être « indécent »… Là aussi, il faut passer du subi au choisi, et oser choisir un certain plaisir, parce que c’est une étape vers soi-même donc vers les autres…Dans la vie religieuse, on inculque, sans le dire, que penser à soi, c’est ne pas penser aux autres et ne pas penser à Dieu. Mon métier me confirme tous les jours que savoir se prendre en compte, c’est se donner les moyens de prendre en compte les autres.Pour une femme, se maquiller ; pour un homme se « saper », pourquoi pas, se parfumer. Pour tous savoir s’habiller pour un entretien d’embauche mais aussi pour soi-même, pour son entourage. Autrement, on est déguisé…

Webmaster : Mais encore ?
 
Sylvain : Maintenant se pose la question : je ne suis plus religieux, je n’ai plus une vie de consacré(e), que vais-je faire ? C’est alors que la rédaction du C.V. n’est pas neutre : c’est un travail sur soi. La première chose c’est de prendre conscience de ce qui me gêne dans mon parcours, des questions dont j’ai peur pour l’assumer. Prendre aussi conscience de mes atouts, de ce que je peux offrir à un employeur, comme une offre de service, et que j’ai très bien pu acquérir, développer ou perfectionner dans la vie religieuse.
 
Webmaster : C’est bien de l’assumer, mais si ce n’est pas compris par le recruteur ?

  • Refusez l’intrusion dans votre passé

Sylvain : Ce qui apparaît en entretien, c’est ce qu’on assume. Mais il ne faut pas autoriser celui qui vous questionne à faire intrusion dans votre passé religieux, ni a priori se laisser aller à raconter les subis. Ce n’est pas un droit, même pour un employeur. Il faut éviter ce qui n’est pas absolument nécessaire. Cela se prépare effectivement. Il faut se demander : « Est-ce que cela peut être entendu et compris ? » Si la réponse est non, il ne faut pas en parler et  si possible éviter poliment d’en parler, éviter les bavardages inutiles. Il faut se demander avant tout entretien : « Est-ce utile de le dire ? Est-ce que c’est nécessaire de le dire ? »
 N’oublions jamais qu’un employeur potentiel a avant tout besoin d’être rassuré. Toute inquiétude qui perle, toute façon un peu brusque de dégager une question va susciter une question, pas forcément formulée d’ailleurs. Donc quand la question gênante est formulée, il faut s’être préparé intérieurement auparavant, pour que la réponse renvoie que l’aléa de parcours est assumé, comme une richesse, et un choix qui a fait avancer. Même si on n’en est pas encore là, il faut être capable de dire qu’on a choisi de partir, qu’on était au bout de ce qu’on était venu chercher, qu’on a beaucoup appris, etc… Dit comme ça, c’est transposable en logique professionnelle : on peut aussi choisir de quitter une entreprise parce qu’on y a appris beaucoup et qu’on choisit autrement la suite de sa route. Il faut s’entraîner à répondre à ces questions avec un air libre, dégagé, serein : on est attendu sur le non-verbal, qui convaincra peut-être plus que les mots.  Par contre, si un question du genre « pourquoi vous êtes parti ? «  ou « Vous ne regrettez pas ? est-ce un échec ? » peut être légitime et ouverte (à nous de jouer), il n’en va pas de même des questions un peu voyeuristes, où le recruteur vise moins à vérifier un point important dans une embauche, qu’à satisfaire une curiosité personnelle. Ça se sent tout de suite, parce qu’en général, il sait qu’il sort des clous, il y a des signes non verbaux et il s’excuse plus ou moins en disant « c’est peut-être un peu personnel, mais… » C’est là que le recul est indispensable, parce qu’il faut absolument éluder, en lâchant un tout petit sucre « général » tout de même, avec humour, et en disant d’une façon surtout souriante et détachée, que oui, c’est personnel, et de toutes façons sans grand intérêt. C’est assez rare chez les bons professionnels,  mais beaucoup plus (trop) fréquent dans les milieux de travail catholiques où peut perler une forme de chantage. Il ne faut pas le satisfaire, car cela augure très mal des futures relations professionnelles.
 
Ps clin d’œil : « Se préparer intérieurement », cela ne veut pas dire qu’on se prépare exclusivement  dans la prière !!!…. Attention, aux réflexes conditionnés, ça peut aider, mais il faut aussi s’engager humainement et techniquement dans la démarche… C’était un clin d’œil, ne jamais oublier qu’on est sorti de son bocal, et que les règles de survie ne sont pas les mêmes !

Webmaster : Je vous suis bien, Sylvain. Mais, si ça ne peut pas être entendu comment présenter le « blanc », le trou dans la chronologie du CV ? Vous n’avez pas encore répondu à cette question.

  • Sortez vous de l’idée que : « ma situation est unique »

Sylvain : C’est compliqué en effet, surtout dans les milieux croyants et pratiquants qui risquent de manifester plus que d’autres une curiosité déplacée. D’un autre côté, ne rien dire, cela inquiète votre interlocuteur. Celui qui recrute a toujours besoin d’être rassuré. Il faut également éviter la réponse fausse qui est risquée. Si votre expérience n’a pas duré trop longtemps vous pouvez toujours dire que vous avez fait de l’intérim… Je vois que cela vous laisse perplexe… Dites que vous avez fait du bénévolat… Vous avez souhaité une période sabbatique pour y voir plus clair sur vous-même.. Et si vous dites la vérité et que l’on vous demande : « Pourquoi êtes-vous parti(e) ? » sachez que c’est une question que l’on pose à tout le monde en entretien.
Pour y répondre essayez de vous mettre dans un cas de figure général.
Sortez vous de la tête l’idée que  « ma situation est unique ». Brisez cette impression d’être un astéroïde. Tout le monde connaît un jour ou l’autre une mésentente avec sa hiérarchie. En quoi votre cas est-il spécial ?

Webmaster : Ce que vous dites est vrai, mais tout le monde ne vit pas sous emprise…

  • Le recruteur a besoin d’être rassuré

Sylvain : Je vous arrête. Il ne faut pas la revivre, cette emprise qui vous poursuit, même quand vous avez quitté. C’est un mécanisme de culpabilité. On se dit : « Il va falloir que j’en parle ». Résultat : On a peur d’en parler. Résultat : on en parle quand même et l’appréhension fait qu’inconsciemment on provoque ce qu’on craint : la question va arriver si vous avez trop peur qu’elle arrive…, mais comme on a cette peur, on donne l’impression d’être coupable. Le problème est du côté de soi, pas du côté du recruteur. Si on ne peut pas le cacher, alors il faut pouvoir le gérer.
Comme je vous le disais, votre recruteur a besoin d’être rassuré. Quand il aura compris quelle était votre situation précédente, ce n’est pas son problème. Il se dira : « Très bien, cette personne a un idéal, un sens du service, une éthique personnelle ». Cela lui convient, mais sa question sera : « cette personne sera-t-elle équilibrée ? ». Ce sera son inquiétude. Il ne l’exprimera pas, mais il se la formulera. Il faut donc lui envoyer un signal pour dire clairement : « C’est fini, la page est tournée ».

Webmaster : Vous parlez de la vie religieuse, mais il y a aussi des laïcs qui ont été entraînés dans des mouvements qui…

  • Plus vite on travaille, mieux c’est.

Sylvain : Je vois où vous voulez en venir. Si on a été laïc (ou même religieux) avec une activité extérieure monnayable en termes civils (action humanitaire, profession de santé, services à la personne) alors il faut l’introduire comme un engagement professionnel, une compétence personnelle, sans parler du religieux.
Il y a par contre un autre point que vous n’avez pas abordé et que rencontre tout demandeur d’emploi, c’est celui du deuil. Plus vite on travaille, mieux c’est. Il y a un temps pour tout, mais le temps de l’atterrissage post sortie ne doit pas durer trop longtemps. Si vous attendez d’être reconstruit pour chercher du travail, vous aurez du mal à vous reconstruire et donc à trouver du travail. C’est la reprise d’une activité, en tant qu’elle est contact avec le monde réel, qui aide à se reconstruire et à construire la suite de sa vie. Je constate tous les jours que le travail est la prise de terre. Pourquoi ne pas aller sur le site Internet  « les jules » et s’engager pour des petits boulots ?  Il y a également les services à la personne : c’est un secteur en tension pour l’emploi. Il faut faire le deuil par rapport au passé pour réussir sa reconversion. C’est vrai de tout demandeur d’emploi, je vous le répète : on retombe dans une problématique générale et c’est tant mieux.
 
Webmaster : Y a-t-il, malgré les difficultés du passé, des points positifs qui vous paraissent devoir être mis en avant ?
 
Sylvain : D’abord  dire ce qu’il faut éviter. Il ne faut pas que le poste envisagé vous rappelle trop le passé : ça ne marchera pas. Si on vous a fait éplucher des pommes de terre et que c’est un souvenir de souffrance, ne prenez pas un métier où vous aurez à éplucher des pommes de terre : est-ce que je me fais comprendre ? Ensuite, si vous avez vécu un piétinement de vos compétences sous prétexte de vous apprendre l’humilité, il faut vous redresser. On vous a peut-être dit « Pour être plus près de Dieu, il faudrait être plus loin de soi ! » et on vous a sous-employé(e) dans des tâches ingrates : ça ne marche pas.
Ceci étant dit mettez en avant votre aptitude à travailler en équipe. Même si on vous a dit : « tu es incapable de vivre en Communauté » parce que c’était un moyen de vous détruire, de vous culpabiliser, et que vous l’avez pris dans la figure. Et que le fait de partir serait la reconnaissance de votre échec là-dessus…justifierait a  posteriori le reproche que l’on vous adressait : c’était pervers. Au contraire il faut essayer de se dire : « Qu’ai-je vécu de communautaire dans cette vie passée ? » Suis-je capable d’informer ? De faire passer l’info ? Ai-je appris à respecter une règle de vie commune ? Toutes questions qui se posent dans le milieu professionnel. Soyez conscient (ou consciente) de votre aptitude relationnelle. C’est important pour le travail d’équipe. Faites valoir votre aptitude à travailler en concertation suite à votre expérience passée. Vous avez appris à sentir les personnalités, les situations, et – hélas – les relations de pouvoir. Même si l’on vous a fragilisé, cela vous a permis de développer des antennes. Vous savez vous sortir de situations conflictuelles. Tout cela vous servira.

Webmaster : Merci pour ces propos optimistes. Y a-t-il un dernier message que vous souhaiteriez faire passer ?

  • En travaillant sur votre CV vous travaillez sur vous-même.

Sylvain : Comme je l’ai dit, en travaillant sur votre CV vous travaillez sur vous-même. C’est nécessaire. Ensuite ce que vous exprimerez dans le CV se fera en fonction de l’employeur à qui vous vous adressez. Souvenez-vous : il a besoin d’être rassuré !
Et puis tout n’est pas dans ce que vous dites. Rappelez vous qu’en entretien 80% de votre comportement est non verbal. Vous pouvez vous autoriser à ne pas tout dire, à esquiver une question, à préparer un discours, tout dépend du comment. Parfois même l’employeur ne s’intéresse moins au contenu direct de votre  réponse, mais il veut seulement voir comment vous réagissez à sa question.

  • Au final, si vous arrivez à voir votre expérience de vie religieuse comme une expérience d’abord pleinement humaine, avec ses apports et ses difficultés comme toute expérience humaine, vous êtes sur un positionnement qui vous recentre sur la vie… réelle, donc professionnelle et va vous rendre apte à dialoguer avec un employeur. 

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