L’histoire à peine croyable de la Famille de Marie

« Pro Deo et Fratribus »

Au départ il y a le jésuite Mgr Pavel Hnilica fondateur de « Pro Deo et Fratribus ». Ordonné et consacré évêque dans la clandestinité dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie communiste. Mgr Hnilica est une figure controversée. Dans l’ouvrage Wojtyla segreto de Ferruccio Pinotti et Giacomo Galeazzi paru en 2011, on apprend que d’énormes sommes d'argent ont été transférées de la banque du Vatican ( IOR ) et de la Banque Ambrosiano vers la Pologne et des pays d’Amérique centrale et du Sud par le biais d'organisations parmi lesquelles figure notamment Pro Deo et Fratribus. Dans le cadre de l'affaire Banque du Vatican / Banque Ambrosiano et de l'affaire de la mallette du banquier Roberto Calvi, appartenant à loge maçonnique P2 et retrouvé assassiné à Londres, Mgr Hnilica est mis en cause. Il fut condamné en première instance, en 1993, à trois ans et six mois de prison avec sursis pour recel. Il avait émis deux chèques d’une valeur totale de 1,35 million de francs suisses provenant de son œuvre Pro Deo et Fratribus en échange de documents destinés à le mettre hors de cause dans le blanchiment d’argent disparu et suspecté provenir de la Mafia. En 1989, il est trouvé en possession de documents des services secrets italiens ( SISMI ) concernant les derniers jours de Roberto Calvi avant son assassinat. Mgr Hnilica a également été au centre de divers mouvements controversés comme celui de l'Opus Angelorum ( Cf. Adista Notizie n. 90/2010 ) et de l'Armata Bianca du père Andrea d'Ascanio ( Cf. Adista Notizie n. 19/2004 ).

Son nom est aussi directement lié à celui de Theresa Lopez au Colorado ( Etats-Unis ) et à ses prétendues apparitions mariales ayant permis la levée de dizaines de millions de dollars auprès de croyants crédules, au début des années 1990. Mgr Hnilica accompagnait la « voyante » dans ses tournées et lui apportait sa caution épiscopale.


Une OSS qui n’est pas 117 !

En 1972 le prêtre autrichien Joseph Seidnitzer, alors âgé de 52 ans - un personnage condamné à trois reprises à la prison entre les années 1950 et 1960 par les tribunaux autrichiens pour des abus sexuels en série sur des adolescents – fonde avec son “protégé”, Gebhard Paul Maria Sigl l’œuvre du Saint Esprit, l’OSS.,

Sigl alors âgé de 23 ans, restera fidèle à Seidnitzer jusqu'à sa mort en 1993 malgré la connaissance de son passé criminel. L’OSS, l'Œuvre du Saint-Esprit fut dissoute par l’Eglise en 1990, en raison des graves déviances.

C’est alors que Mgr Hnilica ayant réuni autour de lui ses 21 “survivants” et leur offrit, avec Gebhard Paul Maria Sigl, la perspective d'une nouvelle vie communautaire à Rome : la “nouvelle” Famille de Marie ».


A l’origine de la Famille de Marie : Joseph Seidnitzer et l’OSS

En 1972, l'Œuvre du Saint-Esprit - de Joseph Seidnitzer et Gebhard Paul Maria Sigl - fait partie de ces mouvements mariaux, nés dans la poussée post-conciliaire, de matrice charismatique orientée vers le renouveau de l'Église. A la tête et au centre se trouvait donc la personnalité complexe de Joseph Seidnitzer et un système communautaire fondé sur la tyrannie psychologique. Certains témoins décrivent leur ancien mentor comme profondément narcissique, interprétant l'histoire en fonction de lui-même. Il se considérait comme le pape des temps nouveaux, le “nouveau Pierre” qui allait construire une Église renouvelée, entouré de ses “apôtres”.

En effet, chacun des membres qui lui était proche recevait le nom d'un des 12 apôtres.

 Gebhard Sigl, cofondateur qu'il désigne dès le début comme son successeur, sera appelé “Paul”. Paul, « le nouvel apôtre des Gentils ». A Noël 1974, Joseph Seidnitzer prophétisait que l'intervention divine attendue dans l'histoire devait avoir lieu à l’ouverture de l’Année Sainte ( 1975 ), et que le pape Paul VI devait se retirer pour lui laisser la place. Il se présentait comme le Pierre de la nouvelle Église. Il prétendait ressentir les douleurs de stigmates invisibles. Il manipulait les jeunes, essayant de les convaincre qu'ils avaient une vocation, exerçant sur eux une pression morale et spirituelle grâce selon des témoins à un impressionnant « pouvoir d’envoûtement ». avec lequel il les exhortait à « incarner le rêve d'une nouvelle Église ».

Il se montra par exemple capable d'empêcher l'un des membres de la communauté de partir rendre visite à un parent mourant, affirmant avec assurance qu'il savait que Dieu ne le laisserait pas mourir. Ce parent mourut pourtant vite, sans revoir son fils. Il simulait des extases mystiques avec un grand art théâtral. Il est dépeint comme un mystificateur apocalyptique, qui a fait de l'intervention divine « imminente » dans l'histoire l'élément de cohésion de sa communauté

Rappelons que Seidnitzer, dans les années 1950, récidiviste, avait passé au total près de trois ans en prison pour avoir abusé sexuellement de nombreux garçons, qu'il soûlait et violait ensuite. Cela ne l'avait pas empêché de poursuivre ensuite son travail pastoral en France à Toulouse.


La fin tragique de l'Œuvre du Saint-Esprit, l’OSS

En 1972, l'Œuvre nouvellement fondée s'installe à Castel Gandolfo. Il faut attendre six ans pour que l’évêque du lieu décide de dissoudre cette Communauté et d’interdire Joseph Seidnitzer. Il se serait plié aux ordres, mais Gebhard Paul Maria Sigl le convainquit de résister. C’est pourquoi l'année suivante, Seidnitzer et Sigl quittèrent l’Italie pour retourner en Autriche, à Innsbruck avec leur communauté. Au lieu de disperser leurs membres comme ils en avaient reçu l'ordre, ils créèrent le “Studienheim International Villa Salvatoris”, le nouveau siège de la communauté, véritable séminaire parallèle. L’évêque de Graz-Seckau ( son diocèse d'origine ), Johann Weber, met sept années pour suspendre Joseph Seidnitzer du service sacerdotal pour désobéissance en 1979. L'évêque Reinhold Stecher d'Innsbruck se prononce également à plusieurs reprises contre la communauté. Il faut encore attendre encore six années pour que, à l’automne 1985, le préfet de, la Congrégation pour l'Education Catholique, le cardinal William Baum, signe un document déclarant qu'un tel “séminaire parallèle” n'a aucune légitimité : « Ce n'est rien d'autre que l'invention privée d'une seule personne [lit-on dans le document du Vatican] qui s'est malheureusement arrogé le droit de prendre une voie qui lui est propre, et qui a ignoré la discipline la plus élémentaire des normes ecclésiastiques et continue à les ignorer à ce jour ». « Il est hors de question, [prévient Mgr Stecher dans sa lettre], que les membres de ce “séminaire” puissent jamais être autorisés à une ordination ecclésiastique ».

Un nouvel avertissement a été lancé trois ans plus tard en 1988. Seidnitzer se retira de la communauté en 1990, mourant en 1993. Mais la relève était assurée.


Gebhard Paul Maria Sigl et les ordinations en cachette dans la Famille de Marie

En effet, à la fin de l'année 1989, Mgr Hnilica, cité plus haut, entre dans l'histoire de la communauté, par l'intermédiaire d'un des membres, le père Rolf Philippe Schönenberger, qui l'amène à Innsbruck. Il apprécie leur forte dévotion mariale et leur propose de retourner à Rome à la recherche d'un avenir. « Je suis un évêque sans communauté, et vous êtes une communauté sans évêque », leur dit-il.

Une nouvelle communauté en effet, était aussi utile à Mgr Hnilica qu'à Paul Maria Sigl pour avoir un lieu institutionnellement reconnu par l'Église dans lequel ils pourraient affirmer leur pouvoir personnel, “nettoyant” la nouvelle communauté de l'héritage incommodant de Seidnitzer »

Hnilica se débrouille pour obtenir une première approbation de la Famille de Marie à l’été 1992, de la part de l'évêque du diocèse slovaque de Roznava, Mgr Eduard Kojnok, Hnilica ordonne alors à la hâte et en cachette à Fatima, le 8 décembre de la même année, cinq des membres qui, venant de l'OSS, n'avaient pas la formation requise pour accéder au sacerdoce. Parmi ceux-ci, Paul Maria Sigl.

Hnilica se portait garant de tous, sans se soucier de l’héritage très préoccupant que ces hommes apportaient avec eux et, sans exercer le moindre discernement, contribuant ainsi à faire grandir un mal portant à de lourdes conséquences.


Le règne de Gebhard “Paul Maria” Sigl

Après le départ de Seidnitzer, c'est donc Gebhard Paul Maria Sigl, son “orphelin”, qui prend les rênes de la “nouvelle” « Pro Deo et Fratribus - Famille de Marie », lui donnant de manière décisive une identité marquée par les cultes mariaux et les apparitions. Sigl est un homme affable, charmant, magnétique, d’une grande douceur et bienveillance apparentes, qui est doué pour la peinture et la musique. Mais l'histoire de la “nouvelle” Famille de Marie reproduit le passé : malgré les apparences, Gebhard Paul Maria Sigl, qui se fait appeler “Padre“, est assoiffé de pouvoir. Il parvient à faire croire à ses adeptes qu'il est un fils spirituel du Padre Pio, dont il prétend posséder les mitaines qu’il impose sur ses fidèles. Il prétend également avoir le charisme de lire dans les cœurs, charisme grâce auquel il révèle à chacun sa vocation et son saint protecteur, que lui seul est en mesure de voir.

Le “nouvel apôtre Paul” appose le sceau de son pouvoir absolu sur sa “créature” : la Famille de Marie. Il marginalise adroitement ceux qui expriment une voix dissidente, dévalorise la personnalité des membres ( surtout celle des femmes consacrées, vouées à la « sanctification des prêtres » ), instille un concept d'obéissance absolue et de culpabilité, viole la liberté individuelle, principalement psychologique, en échange de l'offre d'une vie confortable, grâce aux importantes sommes d'argent, aux origines encore inconnues, qui affluent dans les caisses de la communauté. Il réunit sur sa seule personne les rôles de président et de directeur spirituel, confondant ainsi for interne et for externe, conscience et autorité : la racine de tout abus de pouvoir.

La vie spirituelle de la Famille de Marie est principalement centrée sur le culte des visions privées de la voyante néerlandaise Ida Peerdeman, dont Gebhard Paul Maria Sigl était l'ami. Les apparitions dites d'Amsterdam, concernent un sanctuaire dédié à “Notre-Dame de tous les Peuples”, une Marie qui demanderait pour elle-même le dogme et le titre de « Co rédemptrice ». Après de nombreuses controverses et le constat de phénomènes paranormaux ou de comportements parapsychologiques de la voyante, ces apparitions et leurs messages ont été fermement condamnés en septembre 2020 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Qu’importe ! Paul Maria Sigl a malgré tout continué à en diffuser le culte, à le promouvoir, à y animer des pèlerinages et à écrire des livres sur le sujet.

Il semblerait toutefois que ce soient bien les dérives sectaires de la Famille de Marie dans son ensemble qui inquiètent le Vatican. L’une des sources parle d’ « asservissement mental », de « pouvoir absolu sur l'individu », de « création de gens tous pareils, clones les uns des autres, sans opinion personnelle ». La formation intellectuelle et la confrontation avec la vie réelle sont très peu présentes au sein de la Famille de Marie. Les femmes dites « consacrées » ne le sont pas en réalité dans une forme canonique reconnue bien qu’elles portent un habit de religieuse. Un autre témoin compare la Famille de Marie à « un récit spirituel qui se veut divin mais qui se greffe lui-même sur un récit antérieur gravement déviant ». C'est ce que démontre également, du côté féminin, l'histoire de la “supérieure” des consacrées, “Mère Agnès”, appelée aussi “Madre“, née Franziska Kerschbaumer, fétiche et façonnée par Gebhard Paul Maria Sigl comme détentrice d'un charisme encore caché. Ici aussi, une attente messianique au service de la préservation du pouvoir. Comme très souvent quand il y a dérive sectaire, il faut intégrer les adeptes dans une nouvelle famille avec un « père » et une « mère ».


L’avenir : réforme ou dissolution ?

La mise sous tutelle pro tempore de la Famille de Marie est le prélude à une décision du Vatican sur le sort de la communauté. Il pourrait y avoir une réforme en profondeur. Selon l'évêque d'Amsterdam, Mgr Jan Hendriks, interrogé par le journal néerlandais Nederlands Dagblad ( 17/01/2023 ) ce serait souhaitable.

Mais, après des décennies de dévoiements et d’emprise comment peut-on changer l’esprit des personnes par simple décision épiscopale ou vaticane ? La dissolution qui a tant tardé devrait enfin s’imposer.

Signalement rédigé le 16/02/2023, principalement à partir de sources journalistiques italiennes.

Tout témoignage concernant cette communauté sera soigneusement pris en compte.




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