Etouffée de Sophie Ducrey

Variante numéro 2 


Déshabiller des jeunes femmes et se servir de leur chair ne met personne face à lui-même. Il n’a fait que répandre sa mort intérieure en arrachant de ses mains de jeunes pousses de vie. Une vanne était déjà ouverte. Les affaires Gabriel MATZNEFF et POLANSKI ont permis à une digue de se rompre.

Cette digue déjà fissurée par le mouvement #Metoo avait aussi reçu de sérieux coups de boutoir au cours des derniers mois de l’année 2019 grâce aussi à une révolte simultanée dans les milieux cinématographiques et ecclésiaux. Quand on vous dit que l’abus sexuel 

est un crime silencieux et inaudible, par l’entourage, par la victime et même par l’abuseur. De plus, il réclame pour se faire que la liberté de conscience soit préalablement étouffée; vous n’assistez pas à une émission de télévision grand public : tout simplement vous lisez une interview de Sophie DUCREY, auteur de « ETOUFFEE, récit d’un abus spirituel et sexuel » paru en septembre 2019. On l’a bien compris, l’abus se nourrit d’une autorité : autorité de l’écrivain, de l’homme de lettres adulé pour une Vanessa SPRINGORA1 ; autorité de l’homme d’église, du « père » spirituel pour une Sophie DUCREY. Dans les deux cas il y a consentement, ou plus précisément soumission librement consentie comme l’expliquent bien les universitaires JOULE et BEAUVOIS . Mais, s’il y a consentement, c’est parce qu’il y a emprise.

C’est cela dont mon livre parle, nous dit l’auteure : « comment se passe une mise sous emprise au point que le déni des abus puisse perdurer autant d’années et comment se déroule surtout, de façon très clonée, la mise sous emprise dans la communauté Saint-Jean. On est ici dans un système abusif mis en place par le fondateur. La victime qui entre dans la communauté souvent toute jeune, donc consacrée comme oblate ou religieuse (femme ou homme), ne peut pas s’imaginer que si tous les plus anciens de la communauté, y compris le saint fondateur adulé, approuvent et justifient ce qu’il se passe, il puisse y avoir erreur. Elle est ferrée. »

 Elle l’est d’autant plus, poursuit-elle, qu’on est dans un contexte religieux. En effet, mon histoire montre comment le psychologique peut se servir du spirituel pour rendre cette emprise encore plus profonde et tenace. Car il s’agit de Dieu quand-même au cœur de l’affaire, et le prêtre abuseur est considéré comme ne vivant plus par lui-même ; c’est le Christ qui vit en lui. ».

Cette instrumentalisation du religieux renforce cette emprise qui peut s’exercer dans tout milieu social : 

 Dans la communauté Saint-Jean, on ne critique pas. On suit juste, aveuglément, les enseignements du père, le fondateur. On ne parle pas de soi, on s’oublie

On voit le chemin parcouru pour que de tels livres puissent enfin paraître. Il y a une souffrance aiguë, tenue muette bien longtemps, qui est devenue parole libérée. 

C’est ce que nous dit également Sophie DUCREY : 

Lorsque je l’ai écrit [ce livre] il y a 10 ans il était irrecevable. Les éditeurs ne me croyaient pas ou avaient peur. Et ils avaient raison : mon abuseur m’a traîné avec l’un d’eux au tribunal. Aujourd’hui il y a eu les révélations de la communauté Saint-Jean elle-même, ce qui est remarquable, et le film du 5 mars sur Arte qui a été diffusé à grande échelle. Le fait que des femmes majeures puissent être abusées par des prêtres commence à être recevable. Le mouvement #metoo y est peut-être aussi pour quelque chose.

Ce récit est le témoignage d’une femme de 46 ans, aujourd’hui coach et mère de cinq enfants. Il lui a fallu une quinzaine d’années pour porter ce projet d’écriture. Cela peut paraître long : il s’agit d’une durée assez courte si l’on enregistre le délai ordinaire des appels de victimes qui se manifestent à l’AVREF. Travail sur soi-même, l’écriture est aussi utile aux lecteurs qu’il l’est à celle qui fait remonter au niveau de sa mémoire vive les humiliations enfouies en profondeur. La confiance en soi renaît. Désormais, nous dit-elle :

Je me sens plus ancrée dans la réel, avec tout son côté nuancé et insaisissable. L’absence de certitudes ne me fait plus peur. Au contraire, c’est le fait de se servir d’elles pour asservir autrui qui me fait peur.

Et puis, derrière les mots, derrière chaque ligne d’écriture, au débusqué de chaque paragraphe, derrière Sophie DUCREY, il y a quelqu’un d’autre qui reste discret, mais continuellement présent : son mari, Dominique. « Ce livre, c’est nous. C’est Sophie, mais c’est aussi ce qui a marqué une grande partie de notre vie de couple, de famille », a-t-il confié à une journaliste de La Vie. Et il ajoute :
« Bas les masques. Nous n’avons plus rien à perdre, parce que nous sommes déjà sauvés ».
Espérons que ce livre en sauvera d’autres.


Sophie DUCREY

[1] Vanessa SPRINGORA « Le consentement » chez Grasset, janvier 2020, EAN : 9782246822691


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