Le Rapport de la CIASE
Le Résumé du Rapport du 5 octobre 2021
Pour que toute la lumière soit faite sur ce fléau, l’Église, par la voix de la Conférence des évêques de France (CEF) et de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF), a demandé à Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, de constituer et de présider sur ce sujet une commission indépendante.
Cette commission, mise en place en février 2019, avait lancé un appel à témoignages pour que toutes les personnes concernées lui permettent d’accomplir un travail de vérité.
« toute personne se trouvant dans un état d’infirmité, de »déficience physique ou psychique, ou de privation de liberté personnelle qui, de fait, limite, même occasionnellement, sa capacité de compréhension ou de volonté, ou en tout cas de résistance à l’offense. »
Extraits des auditions des victimes, témoins et experts
Témoin anonyme
J’ai noté une étape fondamentale pour moi.
Ça a été il y a sept ans, à travers des liens d’amitié très profonds et très vrais avec un couple d’amis, d’avoir pu dire toute ma souffrance, d’avoir été écoutée, comprise. Je n’ai jamais voulu aller voir un psy, j’avais besoin que ce soit en relation avec quelqu’un de proche.
Donc le fait d’avoir pu être écoutée, comprise, d’avoir pu raconter et d’avoir pu beaucoup écrire, parce que je suis quelqu’un qui écrit beaucoup, par rapport à cette relation toxique, ça m’a énormément aidé. C’était vraiment la première fois que je disais sans rien masquer, tout ce que j’avais subi.
Et à la suite de ce partage, c’est le moment où j’ai enfin pu mettre le mot d’emprise et accepter, intégrer un peu, ce n’est pas gagné encore totalement, le fait que je suis victime et non coupable. Et j’ai commencé, à ce moment-là, à le realiser un peu.
P. Gilles Berceville
Le 15 novembre 2019 à Paris, la CIASE a reçu le Frère Gilles BERCEVILLE, dominicain, professeur à l’Institut Catholique de Paris.
Derrière le scandale systémique des abus, se cache le scandale de systèmes communautaires. On est face à du cléricalisme mais aussi et surtout à du sectarisme.
Je crois que notre formation était gravement lacunaire – du moins la formation que j’ai reçue.
Même lorsque de telles agressions m’étaient relatées, je n’en mesurais pas la gravité, pas plus que le traumatisme ainsi causé. Un médecin victimologue m’a permis d’en prendre conscience.
Je suis inquiet du développement de cette pastorale de guérison. … A mes yeux, le catholicisme devient alors une caricature de chamanisme.
Aujourd’hui, dans l’Église catholique, un train en cache un autre. Le scandale des abus sexuels cache le scandale de systèmes communautaires abusifs, devenus parfois très puissants et très influents, au point de paralyser et d’aveugler la gouvernance de l’Église.
Mme Isabelle de Gaulmyn
Question de la Commission :
Quelles sont les raisons propres à l’Église catholique des abus sexuels sur mineurs et personnes vulnérables ?
… Dans l’Église, il y a une culture de l’abus, un système d’abuseurs, beaucoup plus que des individus que l’on aurait protégés, ce qui a gangrené l’Église.
Il faut aussi travailler sur la théologie ; le lien entre pouvoir et sacré m’interroge, car il est susceptible de devenir une emprise. Ce n’est pas propre à l’Église catholique, … Mais dans la religion catholique, il y a des choses qui favorisent ce genre de dérive, c’est-à-dire :
- l’analogie entre le prêtre et le Christ,
- le prêtre à qui l’on attribue un pouvoir sacré,
- le fait qu’il n’y ait pas de garde-fou dans le contrôle du pouvoir,
- un système patriarcal qui n’a pas évolué…
- la gestion de la sexualité dans l’Église.
Lire l'audition de Isabelle de Gaulmyn
Frère Philippe Lefebvre
… j’ai recueilli beaucoup de témoignages de personnes, ayant subi, … diverses sortes de violences dans l’Eglise … et bien des gens sont ensuite venus vers moi en disant : « Puisque vous écoutez ce genre d’histoires, puis-je vous raconter la mienne ? »
On m’a parfois demandé pourquoi j’avais reçu ces témoignages ; ma réponse à cela est plutôt une question : pourquoi d’autres ne les ont-ils pas reçus ?
Par un étrange retournement, le fait d’être à l’écoute … passe pour une bizarrerie ou une attirance personnelle morbide, tandis que le fait « de n’avoir jamais entendu ce genre d’histoires » … semble la norme et le signe de la santé psychologique.
Selon une logique maintes fois vérifiée, les autorités de l’Eglise attendent, sans jamais répondre, que « Dieu merci les faits soient prescrits », puis quand ils le sont, plus rien n’est possible ; ensuite, à la mort de l’inculpé, on invoque le silence nécessaire : on n’accuse pas un mort qui ne peut se défendre. C’est ainsi qu’on enterre, au sens propre du terme, bon nombre d’affaires.
M. Jean-Pierre Martin-Vallas
… quand j’avais 40, 42, 43 ans. Des images me sont revenues en tête. Je voyais un jésuite, le père /X/, dans un dortoir dans un camp de vacances, qui rentrait dans mon lit, qui me caressait le torse, les fesses sous mon pyjama. Mais c’était des images. A ce moment-là, je l’ai rejeté et il est parti. Ça s’est arrêté là.
J’ai été voir le jésuite qui à mon époque était préfet de l’école… Je lui ai demandé s’il avait connaissance d’autres victimes …. Il m'a dit que non, mais qu'il allait se renseigner. Au bout de six mois, il m'a dit que son supérieur, le régional des jésuites de France, se refusait à toute enquête sur le sujet.
J’ai eu aussi affaire à un prêtre jésuite … très gentil mais pas formé à ça et qui pratiquait la technique de l’édredon. Vous connaissez la technique de l’édredon, … c’est un monsieur, on peut tout lui dire, il ne fait rien. Il était chargé d’écouter les gens mais sans rien faire.
Dans tout mon cursus j’ai interpellé vingt à trente hauts responsables religieux, c’est étonnant la manière dont ils ne répondent pas.
Mgr Éric de Moulins-Beaufort
Quant à la prévalence des abus, je suppose qu’elle n’est pas plus grande en soi dans l’Église, mais les occasions de passage à l’acte sont plus fréquentes : les camps, les pèlerinages, etc.
Ces situations multiplient les moments de vulnérabilité, pour les victimes comme pour les auteurs avec leurs pulsions : le lever, le coucher, les douches, etc. …
Je crains, par conséquent, que la combinaison entre une plus grande confiance, de la part des enfants et de leurs familles, envers les hommes d’Église, et une plus grande fréquence des occasions de passage à l’acte, n’accroisse, objectivement, le risque d’abus.
… les actes pédo-criminels relèvent moins du sixième commandement que du cinquième, « Tu ne tueras pas ». … l’intrusion d’un adulte dans le développement d’un enfant, ou même d’un adolescent un peu déluré, est une violence, qui provoque un traumatisme que cette personne passera sa vie à affronter.
P. Pierre Vignon
Cette négation pratique de la loi civile et pénale se constate fréquemment dans les milieux religieux et crée nombre de situations où les fidèles sont de fait maltraités.
Revenons à la catégorie des prédateurs et prédatrices. Ils sont au-delà du simple combat moral et spirituel que doit livrer tout croyant. La différence me semble résider pour eux dans la constitution d’un système mental de prédation. Être pécheur est à la portée de tout un chacun depuis l’âge de raison ; abuser est le résultat d’une construction mentale propre qui est pratiquement irréformable.
La peur du manque de vocations pousse donc les évêques et supérieur(e)s religieux(ses) à admettre les candidat(e)s sans un examen suffisamment approfondi…
L’idéal de la charité, le refus de la médisance, l’accompagnement du faible et la seconde chance offerte à tout fautif font le reste.