L'inquiétant développement de la pastorale de guérison

Faisant suite à la publication du rapport de la MIVILUDES, au début de l'été 2021, France Info a mené une investigation.

 

En voici un extrait :

« La période de crise sanitaire est propice à l'anxiété et au recours à des formes de médecines alternatives parfois dangereuses.
"Chacun peut se faire sa religion sur-mesure en fonction de ses craintes." »

Au micro de France Info, c'est Didier Pachoud, président du Gemppi qui s'exprime.
Son association reçoit environ 1 200 saisines par an et elle est de plus en plus sollicitée.
 

« Nous sommes débordés de gens qui nous disent qu'ils se sont mis entre les mains de thérapeutes-gourous qui font d'eux des patients-adeptes.» 

En effet, la crise sanitaire a donné de nouveaux arguments aux mouvements et personnalités qui "s'opposent à la médecine scientifique"»
 
> Gemppi : Groupe d'études des mouvements de pensée en vue de la protection de l'individu  )
 

L’offre de sessions de guérison est en effet devenue surabondante, 

notamment dans de nombreux groupes dit « charismatiques ». Des improvisateurs prétendent identifier vos blessures enfantines, diagnostiquer vos vulnérabilités, ils fouillent sans retenue et en public dans vos souvenirs, pour vous transformer en malade imaginaire et vous inculquer un besoin urgent de leurs services en vue d'une "guérison". 

Qu'elle soit en séance individuelle, en groupe de retraite restreint, en église ou en grand rassemblement sous chapiteau, l'efficacité d'aucune prière de guérison va n'a jamais été démontré. Le dénominateur commun nécessaire à ces séances semble être la crédulité des participants. Ceci dit, les animateurs peuvent aussi agir de bonne foi, persuadés qu'ils ont reçu un charisme et que la prière, les chants et les bénédictions suffisent pour que Dieu, l'Esprit ou la Sainte Vierge intervienne et guérissent les cancers, la maladie de Lyme, les maris insupportables… sans oublier mal de dos. Oui, parfois ces "guérisons" semblent plutôt s'inspirer de Molière que d'une lecture raisonnée des évangiles. 

Les animateurs, ainsi que leurs communautés et mouvements, font très attention de ne plus s'attribuer de mérite pour les guérisons qu'ils proclament. Mais rien n'est plus éclatant que leur discrétion et leur humilité. Leurs bannières et leurs logos, leur prédicateur et leur maître de cérémonies sont tous là pour pour vous rappeler sans cesse que si Dieu seul guérit, en coulisse et dans l'ombre, c'est grâce à qui ?  

Voir une personne souffrante, ou un couple éprouvé, servi en spectacle "guéris" et "reconnaissants" pour faire pleurer et applaudir la foule, est une forme évidente d'abus, dont on ne connait pas encore le nom. 


Prière au Cénacle de Cacouna


Mais malheureusement, pour beaucoup, tout cela n'a rien de comique. 

Certains participants à ces sessions souffrent de réelles blessures personnelles, physiques ou psychologiques, qui excluent tout traitement charlatan pour obtenir un soulagement. Qui plus est, certaines personnes, pourtant bien portantes, en reviennent troublées et déstabilisées : le contraire même de l’effet annoncé.

La plupart des autorités épiscopales, probablement pour ne pas vexer les communautés et mouvements promoteurs de ces sessions, restent silencieuses face à ces dérives. D'autres, par contre, sont enthousiastes et y voient un manière de répondre aux attentes, aux besoins et aux souffrances des paroissiens. 

Cette démarche d'ajustement de l'Église pour mieux répondre à la demande des fidèles est certainement sincère, et louable en soi, mais elle ne doit se faire en persuadant les fidèles désespérés 
que les prières ou les bénédictions ont un lien de cause à effet sur les cancers, la maladie de Lyme, l'abandon par le mari du foyer familiale, ni le mal de dos. Par contre, la consolation apportée par la communauté pourrait certainement influencer la morale d'une personne souffrante.


Bénédiction des malades par Mgr Aupetit, archevêque de Paris et médecin 

Heureusement, une religieuse, elle aussi docteur en médecine, Anne LECU, 

a soulevé de façon pertinente la question de l’articulation entre pardon et guérison dans la revue ETUDES de juin 2021.

Nous en avons extrait quelques « bonnes feuilles » : 

Traiter la maladie comme un esprit à expulser peut induire une vision déformée de celle-ci : dans les abus de pouvoir à caractère spirituel, on retrouve ainsi des personnes, rendues vulnérables par la maladie, qui ont eu à subir des exorcismes pour des problèmes somatiques alors que, dans le même temps, on ne les laissait pas aller consulter un médecin !

De plus, inciter une personne malade à la suite d’un traumatisme à pardonner à celui ou celle qui lui a fait du mal est une manière de ne pas entendre la plainte et de nier la réalité du traumatisme. Les psychologues sérieux savent qu’il faut des mois et parfois des années pour reconnaître le préjudice subi et pouvoir passer à autre chose. 

Enfin, inciter à demander pardon pour une maladie conduit à supposer un lien de causalité qui ne va pas de soi. Le tabac peut provoquer des cancers, est-ce pour autant un péché ou une faute de fumer ? … Une maladie grave, quelle qu’elle soit, est d’abord une épreuve et le malheur qu’elle amène est sans commune mesure avec ce qui a pu la provoquer ! 

Comment peut-on lire sans ciller que « si aucune explication médicale du problème ne semble pouvoir être donnée, si la personne vous dit que sa douleur s’aggrave quand elle entre dans une église ou quand vous priez pour elle, ou se déplace dans une autre partie du corps, ce sont là les signes d’une éventuelle infestation maligne » ? Alors que c’est sans doute qu’il faut de toute urgence sortir de cette célébration qui sollicite une vulnérabilité mise à vif ! »

Sur l’ articulation entre psychologique et spirituel, Anne LECU tient des propos de bon sens qui mettent à mal toutes les démarches basées par exemple sur l’ « Agapèthérapie » ou sur d'autres méthodes holistiques, dites de guérison et voisines de cette approche, dont on veut bien croire, tout en restant méfiants, qu’elles ont été mises en sommeil au Puy en Velay. Mais nous constatons que les résurgences sont nombreuses et néfastes. 

De plus - écrit-elle - le malheur induit par la confusion entre pardon et guérison est majoré quand, à cela, s’ajoute une confusion entre les domaines psychiques et spirituels. Les sessions Agapè de « guérison intérieure », telles qu’elles furent pratiquées au Puy-en-Velay (Haute-Loire) de 2001 à 2017, ou telles qu’elles se pratiquent à Cacouna, au Canada, sont exemplaires de cette confusion. Il s’agit d’une méthode holistique, qui appelle « blessure » tout ce qui relève de l’énigme existentielle (nous ne sommes pas transparents à nous-mêmes) et fournit une solution à cette blessure, appelée « guérison ». 


Prière de guérison au Cénacle Cacouna au Canada, berceau de l'Agapèthérapie

" Agapèthérapie "

Encore aujourd’hui, on peut lire ceci sur le site du Cénacle de Cacouna, à la rubrique " Agapèthérapie " : 

Expérience unique de libération, l’Agapèthérapie reprend toutes les étapes importantes de notre vie pour nous faire découvrir les manques d’amour qui sont à l’origine de nos difficultés actuelles. Au fil des ans, la démarche a révélé que les blessures peuvent provenir d’aussi loin que de l’hérédité. Le plus souvent, les traumatismes qui ont marqué les ancêtres sont transmis d’une génération à l’autre et affectent notre aujourd'hui. Au cours de l’Agapèthérapie, nous sommes invités à déposer ces souffrances dans le cœur de Dieu en pardonnant aux personnes qui nous ont blessés, souvent sans même le vouloir ou le savoir. Nous Lui permettons ainsi de combler nos manques d’amour, de nous libérer de nos souvenirs amers et de faire jaillir en nous une vie nouvelle. 

Les trois volets de l’Agapèthérapie sont 

  • l’identification des causes lointaines de nos difficultés actuelles, 
  • le pardon accordé aux personnes responsables de nos blessures et traumatismes et 
  • la prière de guérison. » 

( Sur www.le-cenacle.com/agapetherapie.php, consulté le 15 avril 2021 ).



On connaît désormais bien les écueils de ces pratiques : 

  1. une insistance sur l’émotion aux dépens de la rationalité, 
  2. une pathologisation des passions, faussement assimilées aux émotions, 
  3. une confusion entre émotion ressentie, acte de foi et action divine, 
  4. et parfois même de faux souvenirs induits. 


La prudence la plus élémentaire devrait donc être de mise. »

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