Un moment de vérité


de Véronique Margron, avec Jérôme Cordelier

La pédophilie n’existe pas, n’a jamais existé. 

Tel est le jugement de Véronique MARGRON quand elle prend la parole dans son dernier ouvrage « Un moment de vérité ».

Alors pourquoi une telle provocation de la part de cette religieuse, première femme présidente de la CORREF, cette institution qui regroupe en France les congrégations religieuses ?
Tout simplement parce qu’elle tient à rétablir les faits dans leur vérité première : la pédophilie n’existe pas, n’a jamais existé. Ce qui a cours c’est la pédocriminalité. le mot qui est enfin utile après tant de décennies de silence coupable.
Désormais une telle dénonciation apparaît enfin indispensable parce que, nous dit Véronique Margron, « crier la colère » est une « nécessité vitale ». Briser « la maladie du secret », tel est son objectif. En raison du poste qu’elle occupe, elle pardonne moins au monde ecclésiastique et religieux ses dérives qu’à un autre milieu. En effet, écrit-elle, « du côté de l’Eglise nous sommes en droit d’attendre que la responsabilité envers les plus vulnérables qui est un engagement évangélique, soit encore plus exigeante et authentique ». Elle n’hésite pas d’ailleurs à employer un mot fort : « la forfaiture ».
Notre crainte évidemment à l’AVREF, c’est que l’accent porté sur les abus sexuels ne soit, non pas l’arbre qui cache la forêt, mais un épais taillis masquant l’accès à d’autres types de dérives. Sans attendre qu’il soit question de pédocriminalité, dès le Consistoire d’avril 1991, le cardinal Arinze n’avait-il pas identifié d’autres maux: 

Quelques NMR (Nouveaux Mouvements Religieux) ont provoqué des dommages psychologiques sur les individus à travers leurs méthodes de recrutement et de formation et des mesures violentes qu’ils adoptent pour prévenir la fuite de leur membres. Nous avons entendu parler de quelques termes comme « manipulation psychologique », « combinaison d’affect et de ruse », « contrôle mental », « techniques accablantes », « méthodes qui altèrent la conscience », « programmation », etc. Certains membres ont dû rompre les relations avec leur famille naturelle ou conserver de telles relations sérieusement abîmées. 

Ce cardinal d’origine nigériane fut préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Mais ses propos n’ont jamais été relevés par une Curie italianisée et le remue-ménage enfin fait autour des abus sur enfants ne doit pas occulter ces autres dérives fondamentales qui rendent possible la pédocriminalité avec d’autres crimes, à savoir le contrôle mental, la manipulation psychologique, les méthodes qui altèrent la conscience.

C’est pourquoi Véronique Margron avait déjà élargi le débat en déclarant sur Radio Notre Dame en mars 2019 suite à une émission de télévision relatant des abus sur religieuses majeures : « on ne peut plus rester dans ces modes de fonctionnement marqués d’omerta, de cette forme de complicité, ce déni de la réalité, du rapport au corps des femmes qui laisse pantois ». On le voit bien : le champ des abus concerne plusieurs populations d’âges différents . C’est pourquoi l’Union Internationale des Supérieures Générales avait pris position dès le début d’année en termes non ambigus contre « L’abus sous toutes ses formes – sexuelle, verbale, émotionnelle, ou tout usage inapproprié du pouvoir dans une relation, portent atteinte à la dignité et au sain développement de la victime »

Pour se défaire de ces maux Véronique Margron développe largement dans son ouvrage les recours au droit canon, cette réglementation interne de l’Eglise. Mais quel est son effet quand on sait que des sanctions chargées de sens en d’autres temps mettaient le coupable au ban d’une société fortement christianisée. Mais aujourd’hui ne sont-elles pas dérisoires ? Par exemple l’interdiction de confesser… Les moyens d’agir contre ces fléaux des abus sont donc autres désormais. Femme d’Eglise, l’auteure s’attache évidemment au « renouveau spirituel » tant attendu, considéré comme le meilleur moyen de prévention. Il passe à son sens par un plan d’action herculéen qu’elle a dénommé : « les douze travaux de l’Eglise ».
Citons-les :
- Transformer la crise en mutation
- Faire la vérité pour retrouver la confiance
- mettre les victimes au centre
- désacraliser la figure du prêtre
- déconstruire le « système clérical »
- promouvoir la place des femmes
- changer le style de l’Eglise
- renforcer le dialogue avec la société
- former les prêtres sur les questions affectives (et pourquoi pas les évêques aussi ? NDLR)
- combattre les phénomènes d’emprise
- revoir l’exercice du pouvoir au sein de l’Eglise
- mettre en actes la « tolérance zéro »
Tout cela est bel et bon. On avancera encore si la reconnaissance pourtant essentielle des traumas de « la personne vulnérable » vient renforcer celle désormais incontournable et déjà insupportable de l’enfant de chœur bafoué, du jeune scout abusé, ou de l’enfant sourd-muet retenu en pension spécialisée. L’AVREF, en raison de son histoire, s’intéresse particulièrement au point 9 du chantier proposé relatif aux phénomènes d’emprise. C’est en effet cette compréhension de tels phénomènes qui fait cruellement défaut à une institution qui dans laquelle les communautés bien en Cour (on devrait dire « bien en Curie ») pratiquent allégrement l’abus spirituel, l’abus de pouvoir et l’abus de conscience. Il s’agit de leur sport favori : méthode Pilate sans « s » à la fin : allez vous laver les mains ! Comme elles font désormais attention à ne plus se laisser prendre dans les pièges de l’abus sexuel, quitte à créer des cellules d’écoute interne non indépendantes dont on peut deviner le caractère manipulatoire, elles conservent hypocritement leur certificat d’honorabilité.
La prochaine étape – peut-être un prochain livre ? –pourrait parler de façon plus large de la situation des personnes vulnérables déjà évoquée dans le motu proprio du Pape François « Vos estis lux mundi », lycéens et étudiants en quête de discernement, personnes ne disposant pas individuellement des outils nécessaires à une bonne critique, blessés de la vie fragilisés par des accidents divers sensibles à une compassion affectée et à des promesses de guérison fallacieuses, jeunes religieux originaires de pays du Sud trompés par un boniment enjoliveur d’une dure réalité et engagés sans autre espoir de s’en sortir que la fuite dans une situation illégale de migrant.

Sur tous ces sujets, sur les douze travaux de l’Eglise, plus qu’un simple moment de vérité c’est une année sainte complète qu’il nous faudra passer avec Véronique MARGRON.

(Albin Michel)

Cette citation est extraite de l’adresse au Consistoire sous le titre : « The challenge of the sects or New Religious  Movements. A pastoral approach.” Pontifical Council for Interreligious Dialogue. Rome 1991 n.9

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