Plaintes, enquêtes, tribunal …
Lisieux : une communauté religieuse accusée d'esclavagisme
France3tv info
Le 17 mars dernier, une jeune femme a porté plainte pour exploitation par le travail et réduction en esclavage contre la communauté des Travailleuses missionnaires, une communauté déjà dans le collimateur d'une association d'aide aux victimes de dérives religieuses.
Suite du texte sur france3tv info
Le malaise des anciennes Travailleuses missionnaires de « L’Eau vive »
Article paru dans le journal LA CROIX en 2014
Une cinquantaine de Travailleuses missionnaires de l’Immaculée ont quitté cette communauté ces dix dernières années.
16/07/2014
Le restaurant « L’Eau vive » de Rome. Dans ces établissements, un travail effréné et un climat semble-t-il très autoritaire ont poussé certaines Travailleuses missionnaires de l’Immaculée à porter plainte.
Plusieurs font part d’un malaise et demandent une réforme de cette association internationale laïque connue pour ses restaurants « L’Eau vive » et rattachée au tiers ordre des Grands Carmes.
Près de 50 départs depuis 2005, 15 plaintes déposées au printemps à l’Avref (association d’Aide aux victimes des dérives de mouvements religieux en Europe et à leurs familles)… Derrière le sourire et les chants dont elles régalent, en costume traditionnel, les clients des restaurants « L’Eau vive » qui ont fait leur notoriété, un profond malaise traverse la communauté des Travailleuses missionnaires de l’Immaculée (TM).
À visage découvert ou dans l’anonymat (1), originaires du Burkina Faso et du Cameroun, une quinzaine d’entre elles évoquent les mêmes difficultés rencontrées au cours des quinze ou vingt années qu’elles ont passées dans cette communauté.
« Nous avons quitté notre pays très jeunes, attirées par la vie consacrée, mais nous nous sommes retrouvées à travailler à un rythme effréné dans les restaurants : lever à 5 h 30, prière, gymnastique, lectures, travail, et coucher à minuit, après avoir servi le dernier client… Tu peux passer des années ainsi, sans une minute pour réfléchir, discerner, évoluer humainement et spirituellement », résume Émilienne, 40 ans, aujourd'hui aide-soignante en région parisienne, et menant toujours une vie consacrée.
Un climat autoritaire infantilisant
C’est au cours d’une session organisée à Rome par les supérieures majeures pour les formatrices de communautés internationales que cette Burkinabée, dévouée à cette famille spirituelle où elle était entrée à 16 ans et avait fait ses « épousailles » (2), a un « déclic » : « J’ai pu mesurer le gouffre qui nous séparait des autres congrégations : nous vivions en autarcie sans les clés d’une vraie liberté intérieure », explique Émilienne, partie en 2010 après un long discernement avec une accompagnatrice spirituelle extérieure.
Passeports confisqués par les responsables, courrier lu en public, logement en dortoir, sans ressources personnelles (5 € à 15 € mensuels tout au plus), communication restreinte avec la famille et interdiction de lier amitié avec les clients du restaurant : la plupart se plaignent d’un climat autoritaire infantilisant.
Camerounaise, Gracia, elle, a quitté les TM en 2006 et mène des études de droit : « Je ne peux pas dire que je me suis trompée de vocation, mais elles ne savent pas entretenir leurs vocations… J’aurais aimé qu’elles tiennent compte de nos aspirations et de notre charisme personnel. Même après seize ans chez les TM, j’étais considérée comme la petite nouvelle qui n’a pas son mot à dire, aucune idée à apporter… J’étouffais, j’avais besoin de donner le meilleur de moi-même. »
Comptes rendus à Rome
Comme Gracia, la plupart de ces femmes, recrutées à 14, 16 ou 18 ans dans leur pays, expriment une même frustration de ne pas avoir reçu de formation solide, contrairement à ce qu’on leur avait promis. « Lorsque j’ai demandé à étudier, on m’a répondu que Jésus n’avait pas de diplôme… », confie Astrid.
Elles déplorent aussi un manque de considération et de soin, ainsi qu’un défaut de respect du for interne. « On nous demandait de tout dire à une TM au cours de dialogues mensuels, mais ensuite, elle répétait aux responsables et cela nous retombait dessus », glisse Marie-Amélie. Émilienne, chargée de la formation des jeunes, se souvient : « Le carme qui accompagnait les TM me faisait un compte rendu et moi je faisais remonter à Rome. ’’Dans une famille, on se dit tout’’, justifiaient les responsables. »
Sollicités par La Croix, les Grands Carmes n’ont pas souhaité répondre, précisant ne pas avoir de contact direct avec les TM. Membre du conseil de direction international de la Famille missionnaire Donum Dei, Magali Gaussen dit prendre acte de leur « frustration de n’avoir pas trouvé auprès de nous ce qu’elles cherchaient, ou rêvaient », mais rejette ces critiques. Elle estime que ces témoignages « émanent de personnes qui maintenant souhaitent avant tout s’installer en France. Elles ont perdu le sens de leur vocation première et, avec, le sens de ce qu’elles voulaient vivre. »
« Que l’Église prête attention »
De leur côté, les anciennes missionnaires refusent de se situer « contre » leur communauté. Certaines se disent même toujours attachées et reconnaissantes, mais espèrent un « changement du système ». « En aucun cas nous ne souhaitons que cette communauté se désagrège. Mais que l’Église prête attention, désigne des prêtres pour l’accompagner dans une thérapie interne, car beaucoup souffrent à l’intérieur, assure Pascal, ancien de la branche masculine des TM. Dans toutes les maisons où je suis allé, les plaintes des filles, dès que les responsables avaient le dos tourné, étaient les mêmes… » Comme Émilienne ou Gracia, lui aussi dit avoir cherché à insuffler un changement de l’intérieur, mais avoir été marginalisé avant de jeter l’éponge.
Aujourd’hui, toutes ces femmes se retrouvent sans rien : la plupart n’ont pas de cotisations pour la retraite, nul document attestant de leurs compétences professionnelles et, pour tout dédommagement, 300 €, ainsi que le prix d’un billet aller simple pour leur pays d’origine (3).
Céline Hoyeau (LA CROIX)
(1) Certains prénoms ont été changés.
(2) Engagement définitif, après les « fiançailles ».
(3) La dernière TM qui vient de quitter la communauté, en juin, a reçu 2 000 €.
L'AVREF SE CONSTITUE PARTIE CIVILE
Les associations des Travailleuses missionnaires et la Famille Missionnaire Donum Dei, qui gèrent les restaurants Eau Vive à travers le monde, notamment dans des centres de pèlerinage, font l’objet d’une mise en examen pour travail dissimulé décidée par le procureur d’Epinal le 9 novembre dernier au terme d’ investigations menées durant 18 mois par l'office central en charge de la lutte contre le travail illégal.
Depuis 2014 l’AVREF s’était inquiétée de cette situation notamment en publiant un livre noir, un supplément à ce livre noir et un dossier complémentaire bien documenté. Elle a, depuis cette date, aidé d’anciennes travailleuses ayant pu s’échapper à se reconstruire dans une nouvelle vie. La plupart d’entre elles se sont regroupées dans l’association SOLIDARIETAS TM qui les représente.
Le 23 novembre 2017, le président Aymeri SUAREZ-PAZOS, conformément aux statuts, a procédé à une consultation des membres du Conseil d’Administration pour proposer que l’association se constitue partie civile entre les mains du juge d'instruction d’Epinal saisi du dossier, suite à la mise en examen des employeurs présumés des TM.
Cette proposition s'est soldée par une décision unanime du Conseil d’Administration de se constituer partie civile aux côtés des victimes dans le procès à venir dans l’objectif d’accéder au dossier, de faire, durant l'instruction, autant que de besoin des demandes d’acte, ou d'interjeter appel de décisions si nécessaire. Si un renvoi devant une juridiction répressive était ordonné, l'AVREF pourrait également plaider et demander des dommages et intérêts. Cette démarche vise à accompagner activement les poursuites.
Cette décision a été validée le 30 novembre 2017.
L’avocat en charge des dossiers des plaignants à Epinal nous a avisés que les victimes acceptent que l’AVREF se range à ses côtés au cours du procès.
Paris, le 12 décembre 2017