Le Désir de tourner la page

« Le déclic …» 

 « A l’origine des mises en route, prises de conscience, processus de pardon et de réconciliation, il y a le plus souvent un mal-être, une souffrance, une déstabilisation, une « casse », un burn-out, etc. On n’a pas eu le choix ; on était acculé en quelque sorte. »
[… ]
« Pour moi, le point de départ fut une brèche … qui, parce que c’était mûr, provoqua un effondrement intérieur tel qu’il me fallut prendre les grands moyens. Il n’y eut aucun héroïsme dans cette décision de chercher l’aide d’un thérapeute ! Et, une fois entamé le travail psychanalytique, il m’est souvent apparu que je n’avais d’autre possibilité que de continuer[1]. Le couvercle avait sauté : comment revenir en arrière ? « ça » débordait de partout ; s’arrêter aurait signifié s’installer en enfer, ou en tout cas au purgatoire !
   Je suis reconnaissante aujourd’hui d’avoir « craqué » à trente-trois ans et non vingt ans plus tard.
[….]
 Il me reste l’essentiel : le désir d’entrer en relation, de partager avec vous ce qui m’a aidée et continue de m’aider à vive. Sans doute parce que je suis témoin de trop de vies gâchées par des souffrances qui n’ont jamais pu être nommées ni portées avec d’autres ».
 
Le lecteur habituel qui ne sait pas qui est Lytta Basset voudra sans doute à ce point de la note de lecture connaître mieux la personnalité et le parcours de l’auteure. Mais nous prenons le parti de n’en rien dire car le lecteur, la lectrice qui est, qui a été victime aura tout de suite compris d’après le ton employé dans cet avant-propos qu’il (qu’elle) a affaire à une âme qui se confie et à qui l’on peut se confier. Peu importe après tout qui est Lytta Basset : c’est une ancienne victime comme moi qui ai été manipulé(e), abusé(e) dans une communauté, dépossédé(e) de mes biens, de moi-même, qui me suis bêtement confié(e) à mon (ma) supérieur(e), mon (ma) directeur(trice) de conscience, qui ai passé ma jeunesse (i.e. « les meilleures années de ma vie) sous l’emprise de cette bande de… (mots d’oiseaux).  La force de Lytta c’est qu’elle a trouvé à sa façon le moyen de tourner la page. Essayons donc de la suivre dans son parcours.
La première phrase de son introduction est claire et sans ambiguïté :
 « Pouvoir nommer le problème constitue déjà une avancée ».
Mais ce n’est pas simple et elle poursuit : « L’expérience montre que personne ne revient spontanément à sa blessure. Or si tant de démarches entreprises pour tourner la page se révèlent parfaitement inefficaces, c’est le plus souvent parce qu’on n’a pas encore eu le courage de prendre le problème à la base, c’est-à-dire là où il n’en finit pas de faire mal. Etant donné que cette résistance instinctive est si répandue, mieux vaut peut-être partir des dysfonctionnements : qu’est-ce qui aujourd’hui m’obsède, amoindrit ma joie de vivre, en termes familiers me « pourrit la vie » ?
[....]
  En définitive, il s’agit de savoir ce que j’ai à pardonner pour vivre libre. »
Elle note de façon pertinente qu’il peut arriver que « je me noie dans la culpabilité sans même soupçonner qu’elle puisse être née de quelque chose qui m’est arrivé ».[2]

[1] « Il est primordial de porter plainte, mais aussi de dialoguer avec un psychologue. Je dois trouver pourquoi j’ai été à la fois victime et partie prenante » . Témoignage d’une victime de dérive sectaire paru dans le journal Sud-Ouest u 19.11.2014
[2] « Cette impression d’être toujours « surveillée », d’avoir à justifier actes et pensées alors que les liens sont romlpus avec le gourou et le groupe, est souvent exprimée par d’anciens membres de goupes sectaires ; un sentiment de culpabilité reste latent » (revue BULLES de l’UNADFI,  numéro 125, 1er trimestre 2015, page 22, article sur :  les sortants de groupes sectaires : troublantes persistances de liens.)

Les obstacles

[…] Elle cite différents  obstacles, et notamment l’un d’entre eux :
« Autre frein : « Je n’ai personne à qui parler ». Ou : « Faut-il vraiment solliciter un-e thérapeute ? ». Rares sont les personnes qui disent s’en être sorties toutes seules. Mais les prises de conscience peuvent se faire en toutes circonstances. […] Le « psy » patenté n’est donc pas une obligation, pas plus que le prêtre, le pasteur, le directeur spirituel officiel.  […]
La seule et essentielle question est de savoir si je veux vraiment accéder à ma propre vérité, à la vérité de mon être, à celle de mon histoire. »
[…]
Mais les freins sont si  nombreux !  Parmi d’autres que cite Lytta BASSET : le corps !
« Votre corps ne ment jamais » dit Alice Miller. En attendant, c’est lui qui « encaisse », sans parler des dépressions dont personne ne comprend d’où elles viennent. La question vaut la peine d’être posée : et si j’avais tout de même droit à ma vérité, comme tout être humain ?
 
En conclusion de son introduction – car on en est toujours à l’introduction du livre – l’auteure nous signale que la trajectoire qu’elle présente, c'est-à-dire son découpage en chapitres imposé par les besoins de l’édition n’implique aucun ordre chronologiques : « en aucun cas il ne s’agit d’étapes se succédant obligatoirement, car chaque itinéraire est unique. Il importe simplement d’aller son chemin au rythme de ce qui monte en soi et de ce qui vient d’ailleurs […] ainsi s’affermit le désir d’en sortir ».
« Le désir d’en sortir » : nous reprenons cette expression qui est le sous-titre de l’ouvrage, et ce n’est pas par hasard. :
« On comprend peu à peu qu’il y avait une page très précise à tourner : sous le dysfonctionnement, on découvre intacte la blessure, on en prend soin ; on exprime sa colère, son impuissance ; on refait la paix avec soi-même … et on commence à « lâcher » l’offenseur et l’offense ; dans le meilleur des cas, on en arrive à envisager une réconciliation. Mais, en cours de route, à tout moment peut faire irruption la liberté vers laquelle on marche à petit pas. Ces fulgurances sont comme la manne quand le désert n’en finit plus ! »
 
Arrivé à ce point de cette note de lecture, une fois n’est pas coutume, contentons nous d’abord d’indiquer le plan de l’ouvrage, les têtes des différents chapitres étant déjà fort explicites sur la démarche proposée qui – répétons le encore – n’est pas et ne saurait être chronologique car toute reconstruction est une démarche en zig-zag :

  1.  Le besoin de juger
  2.  Fonctionner au mérite et à la faute
  3.  Prendre soin de la blessure
  4.  Que faire de la colère
  5.  La joie d’être unifié
  6.  Laisser aller l’offenseur
  7.  Les limites de la réconciliation

Nous avons glané parmi ces sept chapitres quelques « bonnes feuilles ». Le choix était hasardeux car c’est le livre tout entier qui est une bonne plante.  Nous nous sommes attardés ainsi sur le chapitre 3 « prendre soin de la blessure » car il y est question à nouveau de la dépression et ce sujet nous paraît fort important :
« Avec tendresse, cet ami me posa simplement une question : « A quelle blessure essaies-tu d’échapper en fuyant dans la dépression ? ». Cela me frappa comme la foudre va droit au but : si je m’enfonçais régulièrement dans la déprime-dépression, c’était pour fuir une souffrance insupportable liée à mon passé. Donc il y avait bien une raison : j’avais à retrouver la ou les blessures en question et je n’y parviendrais pas sans accueillir – au lieu de la fuir – cette souffrance qui refaisait surface aujourd’hui ».
  «  On ne vient pas au monde avec un « caractère dépressif ». La dépression cache des blessures qui attendent encore d’être nommées, partagées, soignées ».

Que faire de la colère ?

Dans le quatrième chapitre « que faire de la colère ? », nous trouvons également une opinion intéressante :
 « Bien des personnes avouent ne pas pouvoir exprimer leur colère « parce qu’elle serait dévastatrice » : c’est qu’elles-mêmes en ont peur. Or, quand on l’étouffe et qu’on l’attribue à l’AUTRE, elle est moins menaçante. » De façon fort pertinente Lytta écrit : « L’avantage supplémentaire, c’est qu’on croit alors avoir trouvé un sens à sa souffrance : je suis cent pour cent victime (il n’y a aucune contre-violence contre moi) parce que l’AUTRE est cent pour cent agresseur. […] A quel moment constate-t-on que tout cela est fantasmatique ? Précisément quand, cessant de faire soi-même toutes les questions et les réponses, on confronte enfin l’AUTRE. »


 Lytta invite ainsi le lecteur (la lectrice) à transgresser l’injonction de se taire en restant victime. Et voilà que cet Autre imaginaire s’effondre au moment même où on l’affronte.


  Lytta nous libère en évoquant vigoureusement « l’autorisation de crier l’injustice »[3] :
« Et si cette « autorisation » s’adressait également à moi ? En reconnaissant que j’ai droit à ma colère, en la contactant comme une expression légitime de moi-même, je vois de plus en plus clairement qu’elle est en lien avec ma soif de justice : elle est l’indice que je n’ai pas encore renoncé à la justice ».


Cette autorisation permet d’avancer, de découvrir la joie d’être unifié (chapitre 5). Nous en avons retenu un point clé : « …que suppose une telle expérience ? L’autocompassion, l’accueil bienveillant et inconditionnel de tout ce qui a constitué mon passé, de  tout ce que je porte en moi », ce que Lytta appelle « le cœur au large »….


Nous nous sommes attardés plus longtemps sur le chapitre suivant qui pose le délicat problème du pardon. La question est d’autant plus irritante que certaines communautés adoptent une posture grotesque de demande publique de pardon sans se soucier de l’accompagner d’un moindre geste individuel et privé de réparation. Mais Lytta est claire, elle aussi, sur ce sujet :
« Contrairement à ce qu’enjoignent les impératifs d’une éducation moralisante, pardonner n’est en aucun cas un but en soi. Je m’expose à ne jamais être libéré-e du mal que j’ai subi si, de manière volontariste, je décide de « passer l’éponge ». Voilà qui est clair ! « L’authentique pardon est allergique aux il faut, dans l’expérience comme dans la Bible ; Le pardon viendra tout seul, comme le fruit mûr tombe de l’arbre pour autant qu’ayant démonté mes dysfonctionnements, j’aille jusqu’au fond de la blessure et que je renonce à obtenir l’exacte réparation de ce qui n’étant pas mesurable, demeure irréparable. Je vois alors l’essentielle question que me pose mon avenir : que vais-je faire de ce qu’on m’a fait ? »
[…]

[3] Ce cri d’injustice pourra s’exprimer dans le dépôt d’une plainte : oser la poursuite judiciaire ! Oser demander à l’offenseur, à l’Autre, des comptes devant la justice ecclésiastique car il y a eu violation du droit canon, ou devant la justice civile et pénale car les droits de l’homme ont été bafoués. Ce cri d’injustice, ce peut être aussi le témoignage rendu public, ce peut être la mise en demeure adressée à l’Autre par lettre recommandée pour lui demander ce qu’il nous doit, c’est en tout cas une date essentielle dans le processus de guérison. C’est la fin de l’emprise. C’est l’affirmation que j’existe indépendamment de l’autre : je récupère mon for interne, il n’y a plus accès.

Innocence et responsabilité

« Autant je suis complètement innocent-e par rapport au mal qu’on m’a fait, autant j’ai l’entière responsabilité de ce que j’en fais : mon aujourd’hui est libre et mon avenir n’est pas voué à la fatalité. Cela va même plus loin : plus je renoue avec l’enfant impuissant en moi, plus grandit mon sens de la responsabilité ; je perçois en moi l’adulte qui veut se donner les moyens de ne pas causer à son tour souffrance et injustice. »
[…]
« Enfin, c’est constructif : ma « réponse » posée, réfléchie, mûrie me fait accéder à mon identité propre. Personne d’autre que moi ne saurait comment « répondre » parce que je suis seul-e à avoir subi. Cela m’appartient. Mais dans tous les cas, la responsabilité implique la prise de parole, à un moment ou  à un autre, d’une manière ou d’une autre. »
[…]
Dans un paragraphe suivant intitulé « Pourquoi faire reproche ? » Lytta, toujours perspicace écrit :
« Si je n’en suis pas là, si je ne ressens pas mon unification très en profondeur, il y a fort à parier que mon offenseur « utilisera » ma division intérieure pour reprendre le pouvoir sur moi. »
Cette remarque explicite fort bien les allers et retours souvent constatés d’une personne-victime qui quitte une communauté, puis y retourne, puis la quitte à nouveau, mais tout en gardant le contact. Cette personne n’est pas encore passée au stade du reproche et la communauté, l’offenseur a beau jeu de la déstabiliser dès son départ. Bien qu’elle se soit mise « hors les murs », psychologiquement, mentalement, elle est toujours « intra muros ».
C’est pourquoi, écrit Lytta, « Le reproche (la parole vraie sur le mal subi) me permet précisément de me libérer de la haine et du besoin de vengeance : au moins j’ai dit ma vérité et retrouvé ma dignité à mes propres yeux. »
 « Oui, mais il ou elle ne va pas le supporter ! » Qu’est-ce que j’en sais, puisque je n’ai jamais parlé ? Je crois mon offenseur tellement fragile que je fais moi-même les questions et les réponses. Je ne le traite pas d’égal à égal, de sujet parlant à sujet parlant. Certes, je sais par expérience qu’il s’effondre à la moindre mise en cause. Mais là, il s’agit de ma vérité profonde, que je prends pour boussole. »
[…]
Vient ensuite un paragraphe assez long, mais il serait dommage d’en retirer ne serait-ce qu’un membre de phrase. Que le lecteur (la lectrice) accepte de nous suivre et, surtout, de suivre jusqu’à sa conclusion le discours de Lytta tant il nous paraît essentiel :
   « Mais il[4] ne m’entend pas, la situation risque-t-elle d’empirer ? Il se montrera blessé, démoli, ou encore plus sourd et accusateur. Peut-être. C’est pourquoi il importe qu’avant de parler, je me prépare à une telle éventualité. Envisager le pire est une marque de lucidité et permet de ne pas tomber de trop haut : dans le pire des cas, il peut se passer ceci ou cela, est-ce que je me dois quand même de parler vrai, au moins une fois dans ma vie ? Si j’en suis convaincu-e, j’en arriverai peut-être à voir que je lui dois de parler vrai. Peut-être personne n’a-t-il jamais osé l’affronter, se tenir dans l’altérité face à lui, désireux de relation, mais dans la différenciation. Peut-être n’a-t-il jamais eu cette chance, parce que tout le monde avait peur autour de lui ? Je m’imagine que parce que la vérité peut blesser, il ne faudrait pas la dire ? Mais moi-même, je l’ai expérimenté : la vérité sur mes blessures et mes dysfonctionnements m’a permis de me trouver moi-même, d’être trouvé-e par le tout Autre infiniment bienveillant. N’est-ce pas une perche en cor que je tends à mon offenseur ? Il peut ne pas la saisir ? Cela lui appartient. Mais moi, je reste en paix avec moi-même, sans rougir du cadeau que je lui ai fait. »

[4] Il s’agit de l’ offenseur, l’agresseur, le supérieur – au fait en quoi est-il supérieur ?

Le temps est venu d’apprendre à aimer la liberté 

Et pour conclure parlons un peu plus de Lytta Basset, elle-même. Nous l’avons présentée comme vicitme, et  nous avons délibérément omis de le signaler, mais tout son ouvrage est imprégné d’une grande ferveur religieuse. Elle est théologienne et auteure d’une série de livres traitant de sujets religieux. Comme c’est une femme intelligente son discours – nous venons de le voir – est accessible à toute victime, croyante ou incroyante, ou encore se trouvant dans une attitude de rejet de ses anciennes croyances après avoir subi de multiples abus. Sa culture protestante lui permet de s’appuyer sur une parfaite connaissance biblique, notamment du livre de Job qui lui a servi de fil conducteur, mais aussi elle analyse finement la jalousie de Caïn pour Abel, l’attitude de Jacob et d’autres personnages bibliques. Pour le croyant cela donne un sens supplémentaire à cette situation « au-delà du pardon » où elle veut emmener le lecteur.


Pour l’incroyant ou le révolté, pour celui ou celle qui est en deça du pardon, ces références bibliques sont une source de réflexion supplémentaire. Elle s’adresse finalement à la victime : « La réponse est toute entière dans ce que vous allez faire de ce qui vous est arrivé ». Elle refuse encore la fausse naïveté : « Toute cette traversée a permis de restaurer la confiance, mais je ne m’attends pas à une succession d’événements exclusivement heureux : sous prétexte que j’ai suffisamment souffert il ne pourrait plus rien m’arriver de grave ? »


Néanmoins « le temps est venu d’apprendre à aimer la liberté » car je sais que « désormais dans tout mon être et dans ma mémoire vive, que je ne serai plus jamais seule. »

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