Risques et dérives de la vie religieuse

AVREF – Conférence du 3 avril 2022 


Présentation du livre de Dom Dysmas de Lassus « Risques et dérives de la vie religieuse »

Le Cerf 2020

Intervenantes : Véronique LAULIAC et Elisabeth BARRAULT,
anciennes religieuses de la Famille Monastique de Bethléem


Plan de l’intervention

  • Introduction : Dom Dysmas et la Famille Monastique de Bethléem
  • Genèse de ce livre
  • Structure du livre
  • Thèmes du livre
  • Conclusion

Introduction

Dom Dysmas

Photo : cath.ch

Dom Dysmas de Lassus est le Prieur général de la Chartreuse depuis 2014. À ce titre il est responsable de l’ensemble des chartreuses à travers le monde, moines et moniales, aidé dans cette charge par le Procureur Général. Le Prieur général de la grande chartreuse ne peut pas quitter le « saint désert » de chartreuse, dans un rayon de 10 km.



La famille monastique de Bethléem
Je ne peux pas vous présenter ce livre sans préciser qu’il a été conçu et écrit directement en lien avec l’actualité de la communauté des sœurs et des frères de Bethléem. Cette communauté, comme vous le savez, est dans le collimateur de l’AVREF depuis l’origine de l’association. Et jusqu'à aujourd'hui, malgré les dispositifs mis en place pour aider cette communauté à rectifier ses erreurs, Bethléem reste un sujet de graves inquiétudes.


Genèse de ce livre

Témoignages sur L’Envers du décor

Fin octobre 2014, sur le site L’envers du décor de Xavier Léger, Fabio Barbero, ancien frère de Bethléem, publie son long témoignage sur ce qu’il a vécu dans cette communauté. Cette publication est suivie par de nombreux témoignages d’anciennes sœurs et d’anciens frères.

Élection de Dom Dysmas

En novembre 2014, Dom Dysmas est élu Prieur de la Grande Chartreuse, à la suite de Dom François. Il arrive de la chartreuse de Portes où il était prieur.

Il est donc élu au moment même où les témoignages d’ex frère et sœurs de Bethléem se répandent sur la toile et ont l’effet d’un tsunami dans la sphère catholique, surtout chez les proches de la communauté. Un blog antinomique est d’ailleurs créé par des amis de Bethléem, appelé « Sans décor » afin de contrer ce qui est perçu par eux comme des attaques gratuites. Pour eux ce ne sont que des personnes aigries, jalouses, sans vocation qui se déchaînent contre Bethléem.

Le prieur général des frères de Bethléem rencontre Dom Dysmas

C’est dans ces conditions que le Prieur général des frères de Bethléem, frère Silouane, se rend à la Grande Chartreuse pour rencontrer le nouveau prieur. Son but est de lui dire : Vous vous rendez compte de toutes les horreurs qu’on est en train de dire contre nous ? !

Et c’est cette démarche du frère qui a conduit Dom Dysmas à se pencher sur ces témoignages.

Dom Dysmas croit les témoignages et commence à échanger avec des ex

Or Dom Dysmas, en constatant la cohérence des différents témoignages, les a crus, il s’est dit : Ce n’est pas possible, autant de témoignages concordants ça ne peut pas être le fait d’une cabale sans fondement.

C’est ainsi qu’il a commencé à participer aux échanges sur le blog L’envers du décor, sous un pseudo et sans se révéler bien sûr. Au fur et à mesure des échanges, il a acquis la conviction qu’il y avait effectivement des dérives, graves, très graves à l’intérieur de Bethléem. Et une des choses qui l’a certainement le plus marqué, le plus blessé, profondément, c’est de comprendre que tant de généreuses vocations monastiques avaient été piétinées par cette communauté déviante. Son empathie et sa charité ont été douloureusement atteintes.

Il ferait tout pour aider Bethléem

Et sa décision a été prise, non sans demander conseil : il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour assainir cette situation.

Plusieurs mois d’échanges et d’analyses des dérives révélées

Dans les mois qui ont suivi, des échanges fréquents ont eu lieu entre lui et plusieurs ex de Bethléem. Et rapidement l’idée a germé d’écrire un livre.

Écrire un livre pour aider

Le but de ce livre : aider cette communauté, et aider toutes les communautés qui peuvent tomber dans ce type de travers. Je crois que sa conviction à cette époque est qu’il suffit de rectifier le tir, d’expliquer, de démontrer, d’accompagner, pour que les choses rentrent dans l’ordre. L’horreur qu’il a ressentie devant tous ces dégâts, spirituels et psychiques, si les responsables de Bethléem en prennent conscience, eux aussi voudront prendre le taureau par les cornes et s’amender !

Les dérives sectaires deviennent un sujet de réflexion dans l’univers monastique

Au même moment, l’effet des témoignages sur Bethléem, se fait sentir jusqu’à la Conférence Monastique de France qui met à l’ordre du jour de ses réflexions la question des dérives sectaires : Si ça arrive à d’autres, ça peut nous arriver, que mettons nous en place pour pallier ces dérives ?

Premier livre

En avril 2017, Dom Dysmas publie un premier ouvrage, à compte d’auteur :  « Les risques de la vie religieuse ».

Dans ce premier travail de réflexion sur les dérives, Dom Dysmas développe deux grands thèmes : 1/ L’institution et la communauté et 2/ Les relations personnelles. Il plante le cadre réaliste de ces deux aspects d’une communauté religieuse, avec leur beauté, leur idéal et les dérives toujours possibles si on manque de discernement.

À ce moment-là, Dom Dysmas est convaincu qu’en identifiant les dérives, on va pouvoir les dépasser. Il ne s’agit que de bonne volonté et d’humilité. Il est à cent lieux de penser qu’il rencontrerait autant de résistance de la part de la communauté de Bethléem.

Document de la Corref

En 2018, Dom Dysmas apporte sa contribution au document de la Corref : « Vie religieuse et liberté », dans lequel il aborde la question de l’accompagnement spirituel, la distinction for interne/for externe et des dérives possibles en terme d’emprise, d’abus d’autorité et d’atteintes à la liberté des personnes.

Poursuite des échanges et mûrissement du livre

Durant ces années, de 2014 à 2020, Dom Dysmas n’a cessé de communiquer avec des ex frères et sœurs de Bethléem. Ce faisant, le projet du livre édité en 2020 a progressé et s’est enrichi de tous ces échanges.


Structure du livre

La vie monastique sous différents aspects et les dérives possibles

En 13 chapitres, Dom Dysmas aborde les caractéristiques de la vie religieuse, en décrivant d’une part ses aspects « normaux », confortés par la tradition, et ses aspects « anormaux » : les dérives possibles de ces caractéristiques.

L’exemple de Bethléem

Le problème des dérives dans une communauté comme Bethléem, c’est qu’il s’agit d’une vie religieuse monastique, qui s’inspire de plusieurs traditions, qui en elles-mêmes sont bonnes, sont saines, sont garanties par l’expérience et la sagesse des moines à travers les siècles. C’est au cœur de ces références saines et bonnes que s’infiltrent les dérives. Elles se sont infiltrées par une utilisation, une application, erronée, sans discernement, de ces traditions, comme un placage.

Difficulté de la prise de conscience quand vrai et faux sont mêlés

D’où la difficulté d’identifier les dérives. Pour un visiteur extérieur qui n’a aucune connaissance de ce qu’est la vie monastique, comme les évêques par exemple, et à fortiori les jeunes ou les parents des jeunes qui frappent à la porte de la communauté, il est impossible de deviner les applications déviantes et néfastes qui ont été faites d’une apparente saine tradition dont les sœurs se réclament haut et fort.

De plus quand l’application de ces traditions est dévoyée par le manque de discernement et de formation d’une seule personne, d’un responsable, il est possible de corriger les erreurs, on est au niveau de la pratique, une pratique peut être rectifiée… Mais lorsque les dérives sont inscrites dans le système, et qu’elles sont transmises aux générations suivantes, c’est beaucoup plus difficile, peut être même impossible.

Des dérives structurelles ou systémiques

Lorsque les dérives gangrènent tout l’édifice, quand les applications déviantes et néfastes pour les personnes sont inscrites dans la structure de la communauté, dans sa colonne vertébrale, alors, si on tente d’identifier ces dérives pour les rectifier, voire les éradiquer, on met en danger le fonctionnement même de la communauté.

Ce sont des dérives systémiques et structurelles. Ce ne sont plus des accidents de parcours dus à un mauvais usage par telle ou telle personne.

Les dérives sont structurelles lorsque la majorité des responsables sont aveugles sur ces dérives ( abus d’autorité, mensonge, chantage, la carotte et le bâton, etc. ).

Illustration de cette confusion à Bethléem

On assiste à cela à Bethléem aujourd'hui. Les responsables ont « compris » en théorie, « sur le papier » les erreurs qu’on leur reproche, mais leur compréhension est en réalité très limitée, c’est une façade, leur discours ne traduit pas une véritable prise de conscience. Si elles pouvaient regarder en face ce à quoi elles contribuent, leur monde s’effondrerait et c’est impossible à envisager. Et elles réagissent comme un enfant auquel ses parents reprochent une bêtise. Il arrive que l’enfant ne comprennent pas réellement en quoi ce qu’il a fait est une bêtise, mais ce qu’il comprend c’est que le résultat lui vaut une remontrance ou une colère, il comprend que ce n’est « pas bien » ce qu’il a fait sans pour autant saisir en quoi son acte est « pas bien ». Et dans ce cas, pour éviter des remontrances à l’avenir, l’enfant sait adapter son comportement. Un ado à qui ses parents disent que ce n’est pas bien de fumer, sait parfaitement s’adapter et décider de dissimuler le fait qu’il fume, plutôt que d’arrêter de fumer. C’est pareil à Bethléem. Leur communiqué du mois de novembre, suite à leur chapitre général, est un discours adapté aux attentes de l’église, des assistants, des ex sœurs, du public en général.

Difficulté voire impossibilité de se réformer

Je me suis éloignée en apparence du livre de Dom Dysmas, mais pas tant que ça. Car le propos de son livre est précisément de mettre des mots sur les dérives et de décrire en quoi une tradition bonne peut être dévoyée.

Les responsables de Bethléem ont compris ces dérives, ou plutôt ont compris que ce n’était « pas bien » mais sans se remettre en question, fondamentalement, puisque si elles le font, leur monde s’écroule. Et cela montre au fond toute la difficulté de réformer un institut qui ne veut pas être réformé.

Bonne réception du livre sauf dans la communauté concernée

Ce livre a été très bien reçu par ailleurs, salué comme un apport important à la réflexion des dérives sectaires dans les communautés religieuses. Beaucoup s’en sont saisi comme une chance pour leur réflexion en interne, presque comme un vade-mecum de la vigilance nécessaire au sein des communautés religieuses. Or ce qui est à l’origine de ce livre ce sont les dysfonctionnements au sein de la communauté de Bethléem, et c’est justement cette communauté qui refuse ce livre, et son auteur ….
Car elles disent pis que pendre de Dom Dysmas. 


Les sujets abordés dans le livre

Les spécificités de la vie monastique face aux dérives possibles

Dom Dysmas expose les différentes caractéristiques de la vie monastique en 7 points et, pour chacun de ces thèmes, il souligne les dérives qui correspondent :

L’élan, la fougue, la passion nécessaire à celui qui souhaite donner sa vie à Dieu dans une voie radicale
<> La générosité qui peut être utilisée, manipulée pour accepter n’importe quoi

Le charisme de l’institut
<> Charisme qui peut soit vicié dès l’origine soit déformé au fil des ans

La vie commune qui peut être le creuset de
 <>  la négation des individualités

Les rapports avec le monde extérieur qui peuvent être faussés par
<>  le mensonge, le primat de l’apparence, une « beauté » extérieure destinée à nier les difficultés intérieures qu’on cherche à cacher

L’obéissance viciée par une confusion entre obéissance monastique <>  et démission de sa volonté et de sa responsabilité propre et adulte, qui devient une infantilisation

L’ascèse qui devient 
<> une maltraitance imposée par les responsables

L’accompagnement spirituel qui devient
<> un viol psychique ainsi qu’un abus spirituel

Deux abus spécifiques

Il traite en 2 chapitres les dérives spécifiques

1.L’abus spirituel et
2. Les abus sexuels
( Ici Dom Dysmas ne s’est a priori pas inspiré de Bethléem, car des abus sexuels dans cette communauté n’ont pas été identifiés, jusqu'à preuve du contraire… ).

Importance de reconnaître les victimes

 Dans les 3 derniers chapitres il aborde la question des victimes, de l’importance, dans les communautés déviantes, d’entendre, d’écouter les victimes. Cette écoute doit permettre d’accéder à cette compassion sans laquelle il n’y a pas de prise de conscience réelle possible.

Deux points cruciaux : la vérité et la liberté de parole et les contre-pouvoirs

Le chapitre 12 porte sur comment redresser les erreurs et comment les prévenir.

A ce sujet, Dom Dysmas met en avant deux points cruciaux : 

1. La vérité et la liberté de parole :
tant qu’un groupe ne respecte pas la vérité, c’est-à-dire qu’il pratique le mensonge, à tout bout de champs, sans honte et sans vergogne, il n’y a pas de rédemption possible.
Et le pendant de la vérité c’est la liberté de parole pour tous les membres.

Aussi longtemps qu’un groupe n’accède pas à cet état d’esprit, délibéré, assumé, de laisser la parole totalement libre, en son sein : pas de rédemption, pas de délivrance, la communauté reste emprisonnée dans ses propres dérives.

2. Le deuxième point, ce qu’il appelle le système immunitaire d’une communauté, ce sont les contre-pouvoirs prévus par le droit : 
- La règle, le droit de l’église, les visites canoniques, le conseil du prieur, les représentants de la communauté, etc. 
Et on comprend bien que ce système immunitaire ne peut fonctionner que si le premier point est respecté : la vérité et la liberté de parole.


Le tort que font ces dérives à la vie religieuse et monastique en particulier

Dernier chapitre, « Une discrète beauté ». 
Dom Dysmas revient sur la beauté de la vie monastique lorsqu'elle n’est pas dévoyée.
C’est une des grandes souffrances du Prieur général de Chartreuse lorsquil a découvert ce qui se passait à Bethléem et les conséquences : la défiguration de la vie monastique, et a fortiori la vie monastique telle qu’elle a été initiée par st Bruno. C’est cet idéal de vie, si beau et si radical, porteur de tant de beaux fruits de l’Esprit saint, qui a été défiguré, grimacé, par Bethléem.


Conclusion

Dom Dysmas s’est beaucoup investi

Au terme de ce livre, paru en 2020, Dom Dysmas avait encore un espoir que cet écrit, longtemps mûri, dont chaque mot est pesé aller aider, et aider Bethléem en particulier.

Pour un chartreux, il s’est beaucoup impliqué personnellement, il s’est « mouillé ». En réalité si ce livre peut aider ceux qui quittent la communauté, c’est qu’ils sont déjà en voie de guérison, ou s’il peut aider les communautés soucieuses de se maintenir dans l’authenticité de leur vocation, c’est qu’elles sont déjà sur un chemin de vérité. Ce sont des communautés réellement volontaires, qui sont sujettes à des dérives passagères peut-être, mais non structurelles.

Mais ceux et celles pour qui se livre a été écrit : ils ne le reçoivent pas ! Parce que, au mieux, c’est incompréhensible pour eux, au pire, c’est dangereux !

A Bethléem, appeler un chat un chat n’est jamais bon, c’est même suspect, c’est perçu comme de la rébellion, une désobéissance au charisme.

Qu’il soit remercié

Ce livre existe et que Dom Dysmas en soit 1000 fois remercié. Il a pris des risques, y compris pour sa santé. Il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour aider Bethléem.


Pour terminer, voyons la photo que Dom Dysmas a choisie pour la couverture : un arbre non pas déraciné mais seulement, et dramatiquement, fracassé, déchiré. Il explique cette photo au début du premier livre et je le cite :

« Cet arbre n’est pas déraciné, car nos racines sont en Dieu,
et nul ne peut rien arracher de la main du Père …
Mais il est tragiquement brisé dans son bel élan vers le ciel,
qui se voulait droit vers Dieu.. ».

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